« The greatest blues shouters » par le Bulletin du Hot Club de France

       Ce double album présente les plus importants artistes d’un mode d’expression particulièrement attrayant qui marqua l’histoire du jazz. Ces blues shouters privilégiaient le dynamisme, la force expressive sans pour cela sacrifier le côté émotionnel et ils bénéficiaient généralement de l’accompagnement de jazzmen jouant dans le même esprit. Un livret copieux et intéressant donne toutes les informations voulus sur ce panorama parfaitement représentatif, le texte et la judicieuse sélection des enregistrements sont dus à Jacques Morgantini.
       Le CD 1 débute avec le champion de la catégorie, le boss, Big Joe Turner dont la voix magnifique, ardente et chaleureuse, envahit l’espace. Dans Feeling so sad, idéalement accompagné par le piano de Pete Johnson et une section de saxes, il montre à la fois énergie contenue et feeling. Sa voix nonchalante et admirablement timbrée fait merveilles dans Still in the dark et Poor lover’s blues avec robuste accompagnement orné d’une élégante pratie de piano de Harry Van Walls. Dans le titre suivant, T.V. Mama, il reçoit la réplique de la guitare d’Elmore James, quant à Shakr rattle & roll, cette interprétation dégage un swing monumental.
       Les cinq plages suivantes reviennent à l’autre géant de la spécialité, Jimmy Rushing, entendu d’abord avec le soutien somptueux du grand orchestre de Count Basie et escorté de Dicky Wells dans Jimmy’s blues. Sa voix ardente, toujours extrêmement prenante, reçoit sur Somebody’s spoiling these women le soutien de Frank Galbreath à la trompette cependant que Jimmy Shirley déroule une stimulante partie de guitare. Un orchestre all-stars, comme on en réunissait quelques fois à cette époque bénie, l’accompagne par des riffs cependant que Sammy Price s’active au piano dans Goin’ to Chicago blues et Boogie woogie. Un autre all-stars, avec généreuse contribution de Pete Johnson, l’entoure dans Everyday I have the blues.
       L’excellent Wynonie Harris possède une vitalité contagieuse. Dans Here comes the blues, son vocal partage la vedette avec le saxo ténor d’Illinois Jacquet. Il se trouve en compagnie d’Hamptoniens, dont Milt Buckner très présent au piano, dans In the evening et dans son grand succès, Good rockin’ tonight, avec Hot Lips Page à son côté. Sa fougue entrîne ses partenaires dans Bloodshot eyes et même le grand orchestre qui l’assiste dans Night train. Dans Goin’ home, il participe à un duo avec Big Joe Turner, celui-ci débute avec deux chorus puis Wynonie Harris suit pour deux autres. On notera la différence d’ampleur de leurs voix.
       Eddie Vinson occupe les quatre dernières plages du CD1. Dans Somebody’s got to go, accompagné par le grand orchestre de Cootie Williams, il donne une version convaincante du blues de Big Bill. Il attaque ses deux succès, Juice head baby et Cherry red blues, par un solo d’alto et chante ensuite d’une voix étranglée mais néanmoins éclatante. My big brass bed is gone bénéficie d’un soutien solide d’où émerge le piano de Milt Buckner.
       Le CD2 s’ouvre sur quatre plages réservées à Jimmy Witherspoon doté, lui aussi d’une voix robuste et éclatante. Avec l’orchestre qui le réléva, celui de Jay McShann, il swingue plein d’autorité Spoon calls Hootie. Un ensemble assez important dirigé par le ténor Maxwell Davis, l’accompagne dans Blues in trouble et Two little girls. Porté par les riffs d’un groupe réduit il lance un vocal plein d’envolée dans Jay’s blues.
       Se placent ensuit cinq interprétations de Sonny Parker, superbe chanteur, dont la très brève carrière explique qu’il soit parfois négligé. Associé à l’orchestre Lionel Hampton, il enregistra essentiellement entouré d’Hamptoniens (l’intégrale parue sur CD Blue Moon puis CD EPM Blues Collection, cf. Bulletins 473 et 515) voise avec le big band au complet dans l’émouvant Sad feeling. Sonny Parker se déchaîne dans Sehr set my soul on fire sur tempo vif avec solos de Johnny Board (ts), Billy Mackel (g), Al Grey (tb). Dans les interprétations en tempo lent, il s’exprime avec un profond feeling : Pretty baby (avec la connivence du guitariste Wes Montgomery), Helpless (super Hampton au vibraphone) et Worried life blues (Lit Buckner à l’orgue et Al Grey).
       Tiny Bradshaw, renommé comme chef d’orchestre, était également shouter efficace comme le prouve The blues came pouring down, avec la complicité du guitariste, t-99, avec chœur des musiciens répétant le titre et intervention préemptoire de Red Prysock qui récidive dans The train kept-a-rollin’. Après le populaire Louis Jordan qui swingue le non moins populaire Let the good times roll, arrivent trois chanteurs peu connus. Booby Ferguson débuta sous le sobriquet de Cobra Kid avant que Savoy ne le surnomme H-Bomb, en référence à une énergie communicative (Give it up, You made me baby). Eddie Mack chante en force plus qu’en nuance, accompagné par Cootie Williams dans Mercenary papa et un contingent de l’orchestre Erskin Hawkins dans Heart throbbing blues, quant à Piney Brown, il possède une voix plus sourde et statique (How about rocking with me).
       Roy Brown fut célèbre (et influent) aux USA mais la malchance voulut qu’il passe longtemps inaperçu chez nous. Sa voix se distingue par une ampleur et une chaleur remarqables ; dans Dreaming blues il chante avec un feeling empoignant. Enfin, Smiley Lewis a souvent des accents proches de Big Joe Turner et il conclut avec Low-down soutenu par la trompette de Dave Bartholomew et l’insistant piano de Tuts Washington.
       Ce passionnant panorama présente des artistes sachant ce que chanter veut dire (surtout ne pas se laisser par l’appellation shouter) donc dans aucune relation avec la quasi-totalité des consternantes vedettes vantées aujourd’hui par les médias.
A.V. – BULLETIN DU HOT CLUB DE FRANCE