« La première chanteuse de blues française » par L’Express

Disons-le : en dehors du cercle des collectionneurs de galettes d’avant guerre, Fréhel, c’est plus un mythe qu’une voix. Un nom de scène – elle était née Marguerite Boulc’h, en Bretagne, un 13 Juillet 1892 – qui incarne non pas une époque, mais deux, faisant le lien entre le Paris d’Aristide Bruant et celui, plus familier, de Piaf. Dommage pour elle, mais surtout, dommage pour nous. Parce que Fréhel, c’était la première chanteuse de blues française. Ou, plus exactement, de blues à la française. A côté de cette sublime déchirure qu’est Où sont tous mes amants ?, plus près, sur l’essentiel, de Bessie Smith que de Marie Dubas, les autres voix de l’époque faisaient plutôt dans la bluette. Y allant sans détours et sans fard, elle chantait l’évasion narcotique (La coco), les illusions perdues (Je n’attends plus rien) et la chair qui se vend (Sous le pont noir et son terrible « Pssst ! J’ai quatorze ans »). Parti pris d’honnêteté souvent brutale, que la chanson populaire ne retrouverait jamais, et qui est d’autant plus tragique qu’il portait, pour Fréhel, le poids du vécu. A l’opposé des rupins de French Can-Can, en effet, Fréhel ne se grisait pas de mauvaises fréquentations pour ensuite se replier sur son confort : sa faune à elle, son quotidien, c’était les marginaux, les canailles, ceux que Gainsbourg (qui, selon la légende, l’aurait croisée, encore gamin) appelait joliment les autochtones de la nuit. Même ses tableaux plus rigolards (La môme catch-catch, où elle incarne une lutteuse professionnelle !) étaient porteurs d’une menace punk avant l’heure, ce que François Hadji-Lazaro et la bande de Boucherie Production ont parfaitement exploité dans ce décapant hommage qu’est Ma grand-mère est une rockeuse. Et pourtant, ces relectures électrisées ne frappent pas plus fort, dans le cœur et les tripes, que les versions d’origine. Vous l’aurez compris : Fréhel 1930-1939 (2 CD/Frémeaux & Associés FA 165/Distribution Sélect) est le genre de disque qui grise et dégrise à la fois, une dose de véracité qu’on reçoit comme une gifle salutaire.
L’EXPRESS