« Un monde musical fascinant » par ABS Magazine

Il fallait bien qu’un jour on s’intéresse enfin au rythm & blues qui se développa dans les Caraïbes anglophones, la Jamaïque en particulier, influencé par ce qui se passait à Miami (à deux heures d’avion), à New Orleans et aussi à Memphis dans les années 50 et 60 (*). Le mouvement Rastafari et les tambours liturgiques rastas entrent dans la danse et une foule de musiciens locaux suivent les traces des musiciens US de R&B comme Professor Longhair, Ray Charles, le duo Shirley & Lee, Roy Brown, Fats Domino, Jackie Brenston, Wynonie Harris (Denzil Laing reprend ici son Bloodshot eyes) et bien d’autres encore : il faut écouter, entre autres, Theophilius Beckford dans easy snapping, Laurel Aitkin dans Hey Bartender, Owen Gray dans Cutest Little Woman, Higgs & Wilson dans Manny Oh, etc. Des musiciens de grand talent se révèlent comme Ernest Ranglin à la guitare (Jack & Jill Shuffle), T. Beckford au chant et au piano (She’s gone), Roland Alphonso au sax (Pink Lane Shuffle), Derrick Morgan au chant (Fat man, Lover boy), etc. Jazz, rock’n roll, musique latine, country music sont eux aussi populaires en Jamaïque, ainsi que la musique gospel très présente, même si elle est arrangée à la sauce R&B : Judgement day et Mighty Redeemer (Laurel Aitken), Sinner’s weep (Owen Gray) et même Another Moses des Mellow Cats et I met a man des Folk Brothers avec Prince Buster qui portent des messages bibliques, mais d’un point de vu rasta. Pas mal de shuffles aussi dans le R&B jamaïcain, ce rythme syncopé hérité du boogie woogie qui conduira au ska puis au rock steady et enfin au reggae (dès 1968) : parapinto boogie (chanté par Lloyd Clarke), mais surtout des instrumentaux : Duck soup des Drumbago All Stars Pink Lane shuffle des Duke’s Reid’s All Stars, Corn bread and butter d’Eric « Monty » Morris ou Down beat special des Blues Blasters, etc. Il faut savoir que cette musique a un seul but : faire danser. Or la grande masse des Jamaïcains est pauvre, donc sans tourne-disques trop chers, souvent même sans radio à la maison non plus, seulement dans les bars (qui captent des stations de Miami) et dans les nombreuses salles de danse où règnent les dee-jays vedettes qui se débrouillent pour avoir des disques US en exclusivité, lesquels inspirent les orchestres locaux. En outre, beaucoup de producteurs sont aussi grossistes en alcool pour ces bars d’où le nombre de morceaux dédiés à la divine bouteille : Drinkin Whisky, More whiskey et Hey Bartender (Laurel Aitken), Get drunk (Owen Gray), etc. C’est un monde musical fascinant et peu connu que nous font découvrir Bruno Blum et Patrick Frémeaux, un monde très machiste au regard de la quasi absence de femmes dans ces faces (à part Anette Clarke en duo avec Shenley Duffus dans Million Dollar Baby). All aboard…
Note(*) : C’est dans l’air du temps et plusieurs compagnies s’y attèlent comme Frémeaux & Associés, mais aussi Fantastic Voyage, etc.
Par Robert Sacré – ABS magazine