« Sagan se chante aussi » par Le Nouvel Observateur

Nul n’ignore que, dans les années 1950, Françoise Sagan publia quatre romans. Mais on sait moins qu’elle écrivit, au même moment, de nombreuses chansons. Dans un cabaret de Saint-Germain-des-Prés, à une heure indécente, la jeune romancière rencontre Michel Magne, de cinq ans son aîné. Il se dit musicien expérimental, se fait remarquer dans les dîners en se fracassant des assiettes sur la tête. Ce soir-là, quand elle l’aborde, il improvise au piano. Il n’a pas de parolier, s’en cherche un justement. Et il a adoré « Bonjour tristesse ».
Compte tenu de leurs personnalités, on imagine que de leur entente naîtront des chansons extravagantes, loufoques, scandaleuses. C’est tout le contraire. Magne lui confie des mélodies plutôt jazzy sur lesquelles Sagan pose des paroles sentimentales, des histoires d’amours absolues et déçues, dans une atmosphère qui est celle de ses romans : « Ce soir cueille sa longue mélancolie, la vie des feuilles, le bruit, l’alcool et la nuit. » Le tandem trouve dans son entourage des interprètes, et non des moindres. Magne sollicite René Caron, la fiancée de Fernand Raynaud. Sagan fat appel au mannequin Annabel, la future épouse du peintre Bernard Buffet, et approchera un peu plus tard Marcel Mouloudji, qui enregistrera quatre de leurs chansons. Et Florence Malraux présente à Françoise Sagan la muse de Saint-Germain-des-Prés, Juliette Gréco. Les deux femmes deviennent aussitôt amantes.
De sa voix de diseuse, de tragédienne, Gréco immortalise quatre titre sur le 45-tours «Juliette Gréco chante Françoise Sagan» : «  Sans vous aimer », « Le Jour », «  Vous, mon cœur » et « La Valse », la préférée de l’écrivain. Elles ont le charme d’une époque dont elles pourraient être la bande-son. C’est encore Gréco qui interprètera la chanson de « Bonjour tristesse », le film d’Otto Preminger, avec Jean Seberg dans le rôle de Cécile.
La collaboration entre Françoise Sagan et Michel magne s’achèvera au début des années 1960. De leur belle entente, il restera des chansons. Sa vraie petite musique à elle.
Par Sophie DELASSEIN – LE NOUVEL OBSERVATEUR