« Professeur de vie plutôt que d’idées » par Blog Ministre de la culture

Confucius… Dont le nom même porte la trace de cette latinisation que les jésuites avaient briguée, cherchant dans ses pensées le calque de leurs idées pour pouvoir plus facilement convertir les chinois à leur religion. Confucius auquel Voltaire s’intéressa tant, croyant retrouver dans ses paroles l’idée de l’impératif catégorique kantien. Il y avait bien certes du Socrate en lui, et du Montaigne. De fait, il fut le quasi contemporain de Socrate et tout comme lui, il n’écrivit pas mais enseigna oralement sa pensée sans chercher à la rigidifier dans un texte canonique. Tout comme lui, Confucius préféra se livrer à une maïeutique plutôt que d’être lige d’une théorétique, méditant tout haut auprès de ses disciples sur la conduite de l’expérience morale dans la vie de tous les jours.
Cyrille Javary nous en conte, littéralement, dans un ton qui surprend au début, rebute même dès l’abord par sa manière puérile de professer, avant de trouver son rythme et de finir plus enjoué. Javary nous en conte donc l’histoire, la vie, l’œuvre, nous éclairant sur le contexte historique de sa genèse autant que de sa réception, dans un effort précieux de compréhension intellectuelle. Il raconte l’homme, le groupe qu’il forma autour de lui, tel Socrate et ses disciples, dissertant longuement sur l’art de gouverner, soi-même et le monde. «Professeur de vie plutôt que d’idées». L’étude est passionnante, cultivée, profonde. Il évoque les sources, les critiques, replace le tout dans le temps, parlant à son tour puissamment de ce qui seul comptait aux yeux de Confucius : la perfectibilité de l’homme. Mais à l’entendre, le plus passionnant semble au fond ce qui a fait surface : l’histoire de son legs. Trois ans après sa mort, ses disciples les plus proches entreprirent une vaste enquête qui dura vingt ans, de recollection des propos du Sage. De quoi se souvenaient ceux qui l’avaient approché ? Et qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire à leur sens ? Ils en compilèrent un très mince recueil d’entretiens, qui est l’ouvrage qui fonde aujourd’hui encore notre connaissance de la pensée de Confucius. Des Entretiens qui allaient exercer une influence deux fois millénaire et fonder le socle moral de la civilisation chinoise !
En fait un recueil de 516 paragraphes, composés comme un cut up. Des notes. Désordonnées. Un fouillis d’idées comme jetées en vrac, plein de son désordre, d’incertitudes, de lacunes, de répétitions… Un ouvrage dans lequel rien ne nous est épargné de ce qui fonde un mauvais livre, car tout y a été jugé pédagogiquement important ! Et c’est sans doute l’essentiel de ce qu’il faut retenir de cet héritage : cet entrelacs de contradictions et de vérités, la seule sagesse à portée de l’humain. Aucune architecture intellectuelle rigoureuse. Un ouvrage composé à la va comme je te pousse, loin de notre tradition cartésienne, qui fit qu’un Hegel par exemple le lut avec mépris, considérant l’homme comme une sorte de sous-Cicéron qu’il valait mieux ne pas traduire eut égard à la philosophie chinoise. De fait, on y trouve de tout. Des interrogations qui ne sont pas menées jusqu’au bout, des conseils presque insipides, quelques réponses oiseuses. Aucune méthode.
Sage alors Confucius, plutôt que philosophe ? Ou Saint ? Mais alors, un Saint qui se serait laissé volontiers emporter par la colère, la déception, l’égarement. Un Sage qui n’enseigna guère qu’une manière de vivre et encore, se posant constamment la question de savoir ce que peut bien revêtir le terme d’apprendre. Apprendre… Le premier mot du premier paragraphe du premier chapitre des Entretiens. C’est dire son importance. Apprendre… C’est quoi ? «C’est avancer nous dit Confucius, ce n’est pas atteindre»… Apprendre, comme une expérience quotidienne, nécessairement partagée c’est-à-dire non conduite dans la solitude cartésienne d’un moi fouillant son ego pour y découvrir des principes universels. Non pas bûcher non plus, ainsi que nous l’enseignons à nos enfants, ni même acquérir une connaissance livresque. Apprendre : s’incarner dans une connaissance lacunaire de soi et du monde. Lacunaire, nécessairement, modeste si l’on veut : apte à s’ouvrir à ce qui demain la réformera. Et de fait, lire Confucius c’est d’abord se confronter à une désillusion : rien de plus fade, de plus banal, voire de plus insipide. Ses propos sont incitatifs, ses réponses, décalées. Il y a des évangiles là-dedans : la même douceur, la même étrangeté. Tout s’y décale toujours, une parole contredisant l’autre pour mieux enclencher une réflexion personnelle. Car le but de cette initiation, c’est d’arriver à trouver l’attitude appropriée, celle qui ouvrira un chemin de vie, dans une parole qui laissera à désirer, à l’image de celle de Confucius, qui laisse d’autant plus à penser qu’elle ne fait bien souvent que surgir pour s’évanouir aussitôt loin de toute conclusion assénée. Une parole de la perplexité, construite sur l’amitié de l’homme pour l’homme. L’Amitié, le second mot du second paragraphe de l’ouvrage. C’est dire le poids qu’il lui accorde : celui d’une vertu de connaissance. Apprendre l’amitié. Les deux jambes sur lesquelles marcher. Dans ce devoir d’humanité qui fonde toute parole. Car pour Confucius, la réalité première n’est pas la personne, mais la relation entre deux personnes, qui va engendrer chacun dans son poids de chair. Et qui seul nous justifie les uns auprès des autres.
Joël JEGOUZO - BLOG MINISTRE DE LA CULTURE