UPC (Université Populaire de Caen)

Le savoir pour tous, un rêve ?
Michel Onfray par l’Enseignement Public


Initiée en 2002 par le philosophe Michel Onfray, l’Université populaire de Caen est un beau projet… qui marche. Idée collective, elle parvient à mêler ce qui est souvent jugé impossible : l’exigence du savoir, la gratuité, l’interactivité, le libre accès. Pour les acteurs de cette initiative appelée à essaimer, « la culture y est vécue comme un auxiliaire de la construction de soi, non comme une occasion de signature sociale ». L’UNSA Education a voulu en savoir un peu plus.

Enseignement Public : Créateur de l’Université populaire de Caen, vous dites avoir pris cette initiative car « l’offre oscille entre l’élitisme de l’université et l’improvisation des cafés philo ». Quelle est alors la spécificité de l’université populaire ?
Michel Onfray : L’université populaire s’adresse à tous sans demander quoi que ce soit à l’entrée (âge, diplômes, niveau, argent, motivations, etc.) et sans rien délivrer à la sortie… Ce qui importe ? Le désir de philosopher réellement à partir d’un contenu digne de ce nom exposé pendant la première heure de la séance. Ce contenu est commenté, critiqué, éclairé par un débat public et contradictoire dans la deuxième heure. Par exemple, lors de trois récentes séances sur Pierre Charon (un philosophe du XVIIè siècle), nous avons examiné pendant la deuxième heure les conditions d’une nouvelle laïcité : post-chrétienne, déchristianisée et franchement athée. Avec un ouvrage daté de 1601, nous avons réfléchi à ce que devait et pouvait être une laïcité pour aujourd’hui et demain.

Enseignement Public : L’Université populaire n’est pas uniquement axée sur la philosophie, elle n’est pas non plus une œuvre personnelle. Que voulez-vous qu’elle devienne ?
Michel Onfray : Qu’elle persiste à être ce qu’elle est : une communauté philosophique. Car il y a communauté entre les neuf intervenants à l’Université populaire, entre les participants aux cours et chaque intervenant, entre les participants eux-mêmes avant, pendant et après le cours. Il s’agit de fabriquer un jardin d’Epicure en plein XXIè siècle consacré au savoir, à la construction de soi, à l’amitié, à l’édification de sa propre existence, à la réflexion critique susceptible de produire une paix avec soi-même qui est la condition de possibilité d’une paix avec les autres et le monde.

Enseignement Public : Vous avez démissionné de l’Education nationale après avoir enseigné la philosophie pendant 20 ans dans un lycée technique. Aviez-vous le sentiment de ne plus y être utile ?
Michel Onfray : Je me sens utile ailleurs et autrement. En vingt ans, on fait le tour de ce qu’on peut réellement faire dans une institution où le poids de la direction, de l’administration, de l’inspection, de la bureaucratisation finissait par se faire trop insupportable. J’aimais le rapport aux élèves, mais le prix à payer en terme de copies, de programme, de conseils de classe, de journées pédagogiques, de bulletins, de livrets, de collègues parfois… finissait par être trop élevé. Je me sens utile pour un autre public, plus nombreux et lui aussi – j’enseignais volontairement dans un lycée technique – tenu en marge de la philosophie par les officiels de la discipline soucieux de distiller leur savoir à une caste soigneusement isolée du reste du monde.

Enseignement Public : L’écrivain Robert Musil disait que les philosophes sont des êtres violents qui, faute d’avoir une armée à leur disposition, se soumettent le monde en l’enfermant dans un système. Et Michel Onfray ?
Michel Onfray : Musil parle pour lui… On peut ne pas être musilien, non ? Je crois qu’il y a des philosophes qui ont effectivement le fantasme de la domination, d’autres de l’obscurité allumée, certains du gourou, pendant qu’on peut aussi participer un tant soit peu à la conscience critique de son époque. On le sait, le philosophe est multiple : certains refusent le prix Nobel, d’autres acceptent de servir Jean-Pierre Raffarin, entre ces deux extrêmes, il y a place pour une grande gamme de choix. Dont celle d’hédonisme libertaire, de nietzschéen de gauche, de matérialiste athée, de philosophe critique, de technophile utilitariste, si vous voyez ce que je veux dire !

Propos recueillis par Jérôme CROZAT – L’ENSEIGNEMENT PUBLIC