« On referme le livre comme on sort d'un concert » par VINYLE & AUDIO

Pianiste, chef d'orchestre, enseignant et deux ou trois autres choses, Laurent Cugny n'écrit pas sur le jazz - il l'habite, il l'habille. Il l'exhale. Dans Une histoire du jazz, induite par l'usage, il déroule, sur un fil de rasoir, l'odyssée insaisissable d'une musique née dans la douleur et l'urgence, façonnée par le cri du blues et le verbe du swing. À la manière d'un souffleur de braise, il ranime des incandescences, convoque les figures tutélaires (Louis, Duke, Bird, Trane, Miles...), sans jamais les statufier. 

On sent, chez Cugny, le besoin viscéral d'en découdre avec le récit figé, et bien que professeur émérite à la Sorbonne, de desserrer l'étau universitaire. Ce n'est pas une chronologie qu'il propose, mais un travelling nocturne dans les clubs enfumés et les silences abrasifs. L'écriture se cabre, et s'élance: un phrasé charnel ou la métaphore siffle comme une ride de cymbale. Sa plume fait entendre l'impensable, l'Interstice, le frémissement derrière la note. Il parle de jazz comme on parle d'amour ; dans l'ivresse, et dans la perte. Il y a chez lui une façon toute singulière de raconter l'histoire en épousant ses absences, et ses mirages. Il donne corps aux soli orphelins, aux silences bavards. Ce roman du jazz. plutôt qu'un manuel, est une traversée sensible où le critique cède parfois la place au poète. Le jazz n'y est pas seulement raconté : il est convoqué, performé à même la langue. Un texte d'errance et de feu, qui touche moins à la science qu'à la mémoire - la mémoire blessée d'un siècle, d'une culture, d'un combat. Cugny ne classe pas, il ressuscite. Et l'on referme le livre comme on sort d'un concert : un peu sonné, un peu ailleurs, avec cette certitude que le jazz ne s'explique pas : il se vit. Comme le veut la collection, l'ouvrage s'accompagne d'une anthologie en soixante titres.

Christian Larrède - VINYLE & AUDIO