« De pures merveilles » par Jazz Classique

Voici un coffret de trois CD qui ne regarde notre revue, stricto sensu, que pour un petit sixième, soit onze faces, dont un contingent respectable de raretés, voire d’inédits. Comme les faces non-jazz présentent un taux voisin d’incunables, et de surcroît, il faut bien le dire, de pures merveilles, le lecteur peut déjà supputer l’intérêt d’un achat. Certains, néanmoins, dresseront le sourcil à la lecture de la liste des morceaux, ainsi qu’au choix de la période historique considérée, commençant pratiquement deux décennies avant ce qui est communément admis. Ils trouveront raisons à toutes ces interrogations, et à bien d’autres encore, à la lecture des trente-deux pages du livret, signé par l’architecte de ce poème en forme de réédition, Daniel Nevers en personne. On connaît depuis longtemps, 1971 pour ma part, ce collectionneur averti, cet amoureux du jazz, de la chanson, de Paris et de la philosophie, su surréalisme, de Spike Jones et du cinéma, de l’Histoire… Daniel, excuse-moi, j’en oublie. Un tel personnage est trop rare pour être critiqué, mais il faut bien parler un peu des petits défauts, impossibles à totalement éviter lors de la réalisation d’une telle entreprise. Tout d’abord, on pourrait demander à M. Frémeaux de traiter les superbes photos, qui illustrent le texte, aussi bien que les publicités de la dernière page, dont l’intérêt est nettement moindre, et dont D. Nevers ne manque aucune occasion de mentionner l’existence au cours de son étonnant récit. Dédié à la mémoire de Claude Luter, ce coffret révèlera aux amateurs ses débuts assez moyen au soprano, aux côtés de musiciens que nous sommes particulièrement heureux de retrouver, comme Jean Osmont, Marcel Cazes ou l’adorable Christian Viénot, premier tromboniste des Lorientais, quand le demi-frère du premier ministre est encore consigné au piano. Un peu plus loin, Rag De Dent témoigne de l’éclosion de la légende Luter, toujours vivace aujourd’hui. La première apparition de Claude Bolling, au style hinessien déjà accompli, donne lieu à une erreur de titre : il faudrait lire Nobody Knows The Way I Feel This Morning, au lieu de Nobody Knows The Trouble I’ve Seen, un blues de douze mesures au lieu d’un spiritual de trente-deux. Plus loin, l’orchestre de Boris Vian joue effectivement Sweet And Be Bop, de A. Jeffries, comme indiqué ; mais ce morceau n’est pas Sweet And Lovely, auquel il ne fait qu’emprunter un élément mélodique, passant à l’occasion de A à B dans la structure classique AABA. On constate que tout ceci, et quelques autres approximations (CaussimonT ?, personnels parfois discutables, absence de plusieurs germanopratins historiques), pèsent bien peu à côté du plaisir que procure cette promenade philosophico-artistique dans un Paris qui fleure bon l’amateurisme, poétique ou musical, permettant toutefois à des personnages, a priori interdits de séjour, de s’insérer dans un univers artistique de manière inespérée, tel l’auteur de ces lignes lui-même.
Daniel HUCK – JAZZ CLASSIQUE