Incontournable par Jazz Magazine

A qui connaît Cortázar (les autres ont le reste de leur vie – et ça commence tout de suite – pour réparer cette immense lacune), l’association de sa mémoire et de son œuvre avec la musique de François Tusques apparaît a postériori comme, disons, incontournable. (Y penser a priori reste moins évident et le mérite en revient aux producteurs intelligents et avisés de cet excellent enregistrement). L’écrivain argentin qui introduisit le flou et l’aléatoire dans le carré (« Marelle ») et admirait l’Oiseau (« L’homme à l’affût » in « Les armes secrètes ») et le pianiste amoureux de la forme qui fut le seul (ou quasiment) spécialiste français des quatre-vingt-huit touches (ça fait combien à la racine carrée ?) à être associé au mouvement free étaient de tout temps faits pour se rencontrer, y compris à titre semi-posthume. C’est donc une théorie d’ombres tutélaires et familières – les trois Charlie (Christian, Parker, Mingus), « Fatha », Duke, Billie, Bud, Thelonious… (on peut appeler les ombres par leur prénom et même les tutoyer quand on rend hommage à un homme qui commençait ainsi une de ses nouvelles : « là-bas, au fond il y a la mort. Mais n’ayez pas peur. » (« instructions pour remonter une montre in « Cronopes et Fameux » - Gallimard) que Tusques convoque sur son clavier, sollicitant au passage l’esprit du tango et du blues pour un « maté para dos » (tee for two chez les Cronopes, on l’aura deviné) qui se termine, après un splendide « Sur » à quatre sur la voix nue de l’écrivain disparu parlant de jazz et de littérature. Savourez ce disque en lisant ou relisant Cortázar et vous verrez : la faucheuse fantomatique qui nous attend tous, là-bas, tout au fond, vous n’en aurez plus peur.
Par Thierry QUENUM – JAZZ MAGAZINE