« L’invention du rock » par 7 Hebdo

Bien avant que Neil Armstrong ne débarque sur la Lune, un blanc-bec avait posé un pied conquérant sur des territoires musicaux méconnus : Elvis Presley qui, un jour de 1953, poussa la porte du studio du producteur Sam Phillips. Lequel, endetté jusqu’au cou, rêvait tout haut : « Si je trouvais un Blanc qui a le son noir et ressent la musique comme un Noir, je pourrais gagner un million de dollars ». Grâce à Elvis, son rêve allait se matérialiser… Le triple album Elvis Presley & The American Music Heritage propose une plongée dans la musique populaire américaine qui aide à mieux cerner le rôle d’Elvis. Au fil des soixante-six titres, ses chansons sont comparées à leurs versions originales, appartenant tantôt au hillbilly – la musique des bouseux blancs du Sud – tantôt au blues, rhythm and blues ou rock and roll des Noirs, dont les juke-box de Memphis étaient pleins mais auquel le public blanc restait sourd. Elvis a jeté, entre ces deux univers, un pont par où Little Richard, Chuck Berry et d’autres allaient s’engouffrer. Malgré les efforts de l’Amérique bien pensante et raciste pour étouffer dans l’oeuf cette révolution musicale, le rock partait à la conquête du monde ! En écoutant Arthur Crudup, Billy Eckstine,Wynonie Harris, Kokomo Arnold et, dans la foulée, Elvis Presley, on voit comment celui-ci débarrassait les morceaux de leurs oripeaux folk (banjo, violon, harmonica…) ou R & B (cuivres) pour les resserrer sur une pulsation primale, servie uniquement par la rythmique, la guitare électrique et la voix. Et quelle voix ! Caressante sur les tempos lents, fiévreuse et haletante quand le rythme s’emballe, elle ramène cette musique à sa fonction de parade amoureuse. Même Carl Perkins, dont le Blue Suede Shoes est pourtant méritoire, ne tient pas la comparaison : aux yeux d’Elvis, les fameuses chaussures en daim bleu ont une valeur autrement plus importante !
Par Richard SOURGNES - 7 HEBDO