« Érudit et passionnant » par Études Tsiganes

Après les deux magnifiques coffrets Accordéon amorçant une volonté de reconnaissance, de préservation et de diffusion de tous les patrimoines sonores, Patrick Frémeaux confirme cette orientation en nous proposant cette fois une anthologie des musiques tsiganes de cabaret de 1910 à 1935 : csardas hongroises, horas roumaines, folklore russe, valses viennoises ou pièces de caractères, jouées ici par les grandes figures tsiganes de notre siècle. Les textes et la sélection des titres ont été confiés à Alain Antonietto, spécialiste incontesté et infatigable défenseur des musiques tsiganes, assisté ici de Dominique Cravic, guitariste et grand collectionneur lui aussi.
La musique tsigane s’avère être principalement une école de violon. Ce sont les grands primàs (associant virtuosité prodigieuse et style sensuel au lyrisme appuyé) qui feront la renommée des cabarets tsiganes des capitales européennes jusqu’à la fin des années 30 : Bela Berkès, Jean Gulesco, Georges Boulanger, Imre Magyari… le répertoire extrêmement hétérogène joue souvent la carte de la séduction, romances langoureuses, morceaux à la mode, l’impératif commercial nécessitant de plaire dans les cabarets, au détriment parfois de la profondeur des traditions musicales mais comme toujours avec les Tsiganes, la moindre rengaine trouve matière à défis et à créativités. Si elle a pu être considérée avec dédain comme « musique de restaurant » cette musique témoigne en fait d’une richesse exceptionnelle. Elle met en lumière le génie musical de nombre de grands solistes : Jean Gulesco et son talent d’improvisateur (quatre titres ici dont le fameux « Coucou »), Nitza Codolban « le plus grand cymbaleur tsigane du monde », Georges Boulanger alliant technique et élégance (cinq titres dont les somptueux « Avant de mourir » et « Sombre dimanche »), Grigoras Dinicu autre génie du violon (quatre titres dont l’incontournable « Alouette »), Kiss Lajos (« Les 2 guitares »)…
Réédition majeur d’un genre trop méconnu, d’enregistrements anciens devenus introuvables depuis longtemps, dépoussiérés ici avec intelligence c'est-à-dire sans compromettre la fidélité aux enregistrements originaux de cette musique. A signaler un livret de 20 pages, érudit et passionnant, écrit par Alain Antonietto qui suit à la trace la naissance et l’évolution complexe de cette musique, en la restituant dans son contexte historique et sociologique, montrant notamment son rôle dans la naissance du mythe romantique du bohémien. Ces analyses prolongent les brillantes pages parues en 1986 dans la revue « Etudes Tsiganes ».
Nous retrouvons ici avec bonheur la magie musicale des cabarets tsiganes de l’entre-deux guerres, l’ambiance d’un monde nocturne disparu, si bien célébré par Joseph Kessel dans « Nuits de Princes ». Indispensable !        
Françis COUVREUX – ÉTUDES TSIGANES