L'excellent et le magnifique par Soul Bag

On a dû attendre une douzaine d’années avant de voir arriver ce deuxième volume de boogies. Si  le premier partait des racines de ce style de blues et se ramifiait jusqu’en 1945, de Chicago à New York, celui-ci montre un renouveau à partir du célèbre concert au Carnegie Hall de 1938, qui fut à l’origine du « boogie woogie » crase. Il mit à la mode un style qui se portait déjà bien, mais qui déferla sur tous les genres populaires, à l’échelle nationale. De là ces deux métropoles qui s’ajoutent en sous-titre à ce double CD : Los Angeles et New  Orleans. Le petit traité que constitue l’épais livret informatif fait bien la distinction entre le bon et le commercial. Beaucoup d’orchestres, surtout blancs  mirent  le boogie en contre-plaqué sur leurs arrangements. Mais l’impulsion  définitive donnée à l’essor du boogie woogie, ce fut quand même le succès commercial de « boogie woogie »  arrangé pour le big band de Tommy Dorsey. Le compilateur a eu le bon goût de n’inclure aucun exemple de ces imitations et arrangements artificiels - faisant une exception pour le succès facile de Sugar Chile. Au contraire, il a su faire un choix fort judicieux parmi ces innombrables artistes, ne retenant que l’excellent et le magnifique. Il y a les fondateurs encore vivants à cette époque-là comme Montana Taylor; les spécialistes avérés, comme Ammons, Yancey et Pete Johnson; les solides dont la main droite semble inséparable de la gauche, soudés dans le drive inouï de leur jeu (Amos Milburn !); et d’autres où la gauche semble pouvoir fort bien se passer de l’autre (le Meade Lux Lewis des années 50). Puis il y a la majorité, ceux qui ne jettent que sporadiquement dans ce style, tout en y excellant cette armée de pianistes qui n’eurent qu’une gloire passagère (Martha Davis, Hadda Brooks, Willard Mc Daniel …). Et, enfin, les jazzmen qui peuvent y étaler leur virtuosité : le très orné Tatum, le charmant King Cole, l’imaginatif Errol Garner et le toujours surprenant Earl Hines (dont la note répétée de son Boogie on the St Louis Blues, encore supportable ici, sera exagéré outre mesure dans les conserts ultérieurs, frisant la prouesse  physique au circular breathing des saxophonistes modernes). Le caractère dansant du style risque de disparaître sous la virtuosité mais aussi à cause des tempos de plus en plus rapides (Petreson, Donegan, Hasel Scott) Certains caractériels comme Cecil Gant ou Roosevelt Sykes ont tendance à accélérer, emportés par leur tempérament. Le boogie jusqu’alors, étroitement lié au blues, s’adapte bientôt à tous les genres, devient un mode d’accompagnement à des standards de jazz (Ammons), voire à des morceaux de musique classique (Butterfield). Mais il continua longtemps encore d’inspirer des artistes comme Lloyd Glenn (la perfection), Sam Price, Willy Littlefield, Fats Domino. André FONTEYNE - SOULBAG