« Des séances importantes dans l’histoire du jazz en France » par Jazz Classique

Ce coffret contient pas mal d’enregistrements très rares qui justifient pleinement l’intitulé « Collector » (même si, contrairement à ce que prétend le livret, les trois-quarts des enregistrements du Club Français du Disque avaient déjà été réédités). Parmi les faces les plus recherchées, celles de 1948 pour le label Pacific. Vous en trouverez une large sélection (19) aux débuts des disques 1 et 2 (disques organisés autour de thèmes : Duke Ellington, la Nouvelle-Orléans). Seules les faces avec Rex étaient disponibles sur un CD Classic (1164) chroniqué par Marc Richard dans notre numéro 15 (détail : Weary Weird, crédité à Bolling sur le Classics, est ici octroyé à Stewart). Les autres permettent d’entendre un « septet » de très jeunes musiciens plus ou moins expérimentés et n’ont pas, évidemment, la qualité musicale des enregistrements du big band de 1956. Toutefois, l’enthousiasme et quelques talents prometteurs (Maxime Saury, par exemple, qui avait plus de maturité que ses camarades) forcent la sympathie. Les collectionneurs repéreront Sweet Patootie, enregistré en public lors du premier concert de la série « Jazz Parade ». Dans le disque deux figurent les deux excellents duos avec Roy Eldridge, Wild Man Blues et Fireworks, plusieurs fois réédités dans les disques du trompettiste (voir l’enthousiasme de Dominique Burucoa dans notre numéro 27, p. 17). On trouve là le meilleur de Claude Bolling pianiste (avec quelques enregistrements de la  même époque, les trios avec Albert Nicholas, par exemple, ou certaines interventions dans les big bands de 56 – voir plus loin). Ces deux titres ne sont malheureusement pas très bien reproduits. Nous en arrivons à ce qui justifie pleinement un tel coffret : la réédition des quatres albums réalisés en 1956 et 1957 pour le Club Français du Disque : « Les succès de Duke Ellington », « Les succès de la Nouvelle-Orléans », « Les succès de Django Reinhardt » et « Rolling With Bolling ». Le dernier LP (qui contenait un long « medley » de thèmes ellingtoniens et quatre compositions de Claude Bolling) n’avait jamais été réédité. Il contient même quelques mesures inédites car le Ellington Medley avait été tronqué dans l’édition originale. Les renseignements discographiques accompagnant ces rééditions étant lacunaires (ou erronés) voici le contenu de ce « medley » (certains titres ne sont que très rapidement évoqués) : Black And Tan Fantasy / Things Ain’t What They Used To Be / Creole Love Call / I Got It Bad / Sophisticated Lady / Moring Glory / It Don’t Mean A Thing / Beautiful Indians (Hiawata) / Birmingham Breakdown / Conga Brava / Cotton Tail / The Lady Of The Lavender Mist / Prelude To A Kiss / Warm Valley / Ain’t Got Nothing’ But The Blues / Day Dream / I Let A Song Go Out My Heart / Do Nothing Till You Hear From Me / Don’t Get Around Much Anymore / Mood Indigo / Moon Mist / In A Sentimental Mood / East St Louis Toodle Oo / In A Mellowtone / Black Beauty / Tulip Or Turnip / The Mooche / Just Squeeze Me / Perdido / I’m Beginning To See The Light / Take The A Train / Rockin’ In Rhythm / Blue Serge.
Ces enregistrements avaient été, pour moi, jadis, des disques de chevet (en fait, ils furent parmi les premiers LP de la collection). Mais je ne les avais pas écoutés depuis longtemps et j’ai été surpris par leurs qualités. D’abord, les arrangements de Bolling sont magnifiques et pleins d’idées originales. J’ai un faible pour le « Django ». On n’a jamais aussi bien orchestré pour big band la musique du guitariste. Vous trouverez ici une seconde prise de Djangologie, prise sur un tempo plus lent (ce qui est moins heureux) que celle qui avait été originellement éditée. Les solos de Fernand Verstraete et de Pierre Gossez y sont passablement différents. Quant au solo de trombone d’André Paquinet, entièrement écrit par Claude Bolling (qui écrivait tous les solos de Paquinet, vous en avez un autre exemple dans Basin Street Blues) il a été remplacé par un solo de Benny Vasseur qui débute par la même phrase. Le « Ellington » et les compositions du chef me plaisent presque autant que le « Django ». Et, si je trouve un peu inégal le disque consacré à la Nouvelle-Orléans, Royal Garden Blues, Buddy Bolden Say, St Louis Blues, Basin Street Blues, King Porter Stomp, notamment, sont vraiment réussis. Ensuite, l’orchestre joue avec un punch et une précision (les deux vont de paire) admirables. La section rythmique (composée la plupart du temps par le contrebassiste Pierre Michelot et le batteur Arthur Motta) swingue comme peu de rythmiques françaises étaient capables de le faire à l’époque. Enfin, l’orchestre comprenait beaucoup de bons solistes. Pierre Gossez (ts) et Gérard Badini (cl) prennent avec flamme, inspiration et brio tous les solos de saxo ténor et de clarinette. Ces disques sont précieux pour le saxophoniste, très sous-enregistré, et pour Gérard Badini qui signait là, sans doute, ses chefs-d’œuvre à la clarinette avant de changer d’instrument. On se régale aussi avec Benny Vasseur et Claude Gousset (tb), Fred Gérard, Roger Guérin ou Fernand Verstraete (tp). Ce dernier avait été totalement sous-estimé par Hugues Panassié. A cause de cela pas mal d’amateurs sont « passés à côté » de ses nombreuses qualités : lyrisme, son, fantaisie… Ecoutez-le dans ses interventions de Drop Me Off In Harlem, C. Jam Blues, Morning Glory, East St Louis Toodle Oo, Blue Serge, Basin Street Blues, Djangologie, Tears, Piccadilly Romeao… Il est aussi “jazz” que ses confrères, et ce n’est pas parce qu’il ne phrase pas comme son auteur le fameux solo de Louis sur Cornet Shop Suey qu’il est dans l’erreur. Au contraire, il est tout à fait dans l’esprit de l’arrangement. Rappelons que « le pianiste de l’orchestre » est ici, particulièrement, à son avantage. Mais voici la liste des solistes que le livret (bien entendu) néglige de vous donner : Caravan : G. Badini (cl), B. Vasseur (tp), P. Gossez (ts), F. Verstraete (tp). Drop Me Off At Harlem : C. Bolling (p), C. Gousset (tb), G. Badini (cl), F. Verstraete (tp), F. Gérard (tp). C. Jam Blues : C. Gousset (tb), G. Badini (cl), F. Verstraete (tp), Jo Hrasko (as), F. Gérard (tp), A. Motta (dms), P. Gossez (ts), C. Gousset (tb), R. Guérin (tp). Solitude: G. Badini (cl), B. Vasseur (tb), P. Gossez (ts), F. Gérard (tp). Ellington Medley : B. Vasseur (Creole love Call), Claude Gousset (Sophisticated Lady, Moon Mist, Black Beauty), A. Paquinet (Conga Brava, Moon Indigo), F. Verstraete (Morning Glory, East St Louis Toodle Oo, In A Mellowtone, Blue Serge), C. Bolling (It Don’t Mean A Thing, The Lady Of The Lavender Mist, In A Sentimental Mood, Perdido), P. Gossez (Hiawata), Jo Hrasko (Warm Valley, Day Dream), Gérard Badini (Don’t Get Around Much Anymore), Fred Gérard (In A Mellowtone - suraigu). Royal Garden Blues : R. Guérin (tp), F. Verstraete (tp), G. Badini (cl), B. Vasseur (tb), F. Gérard, R. Guérin et F. Verstraete (tp). I Though I Heard Buddy Bolden Say : A. Migiani (bs), C. Bolling (p), P. Gossez (ts), F. Verstraete (tp). Muskrat Ramble : F. Verstraete (tp), C. Bolling (p), P. Gossez (ts), G. Badini (cl). High Society : A. Motta (dms), G. Badini (cl), C. Bolling (p), F. Gérard (tp). Cornet Shop Suey : F. Verstraete (tp), C. Bolling (p), F. Verstraete (tp). St Louis Blues : C. Bolling (p), R. Guérin (tp), P. Gossez (ts), Benny Vasseur (tb), G. Badini (cl), R. Guérin (tp), F. Gérard (tp). Basin Street Blues : A. Paquinet (tb), F. Verstraete (tp), A. Paquinet (tb), Pierre Michelot (b), G. Badini (cl), F. Gérard (tp). King Porter Stomp : B. Vasseur (tb), R. Guérin (tp), P. Gossez (ts), G. Badini (ts), F. Verstraete (tp). Djangologie : Fernand Verstraete (tp), André Paquinet (tb), Pierre Gossez (ts), Gérard Badini (cl). Nuages : C. Bolling (p), A. Paquinet (tb), C. Gousset (tb - wawa), Pierre Gossez (ts), Fernand Verstraete (tp), Fred Gérard (tp). Dinette/Artillerie lourd : C. Bolling (p), F. Gérard (tp), F. Verstraete (tp) / F. Verstraete (tp). Tears : F. Verstraete (tp), Pierre Gossez (ts). Minor Swing : P. Michelot (b), C. Bolling (p), P. Gossez (ts), Fernand Verstraete (tp). Nympheas : B. Vasseur (tb), A. Migiani (bs), C. Bolling (p), F. Verstraete (tp). Swing 42/Manoir de mes rêves/Swing 39 : Claude Gousset (tb), Gérard Badini (cl), Claude Bolling (p) / André Paquinet (tb), Gérard Badini (cl), Claude Bolling (p), Fernand Verstraete (tp) / Pierre Gossez (ts), Gérard Badini (cl), Fred Gérard (tp). Rythme future : A. Motta (dms), Gérard Badini (cl), F. Gérard (tp). Djangologie (version II) : Fernand Verstraete (tp), Benny Vasseur (tb), Pierre Gossez (ts), Gérard Badini (cl). Geneviève : A. Masselier (b), F. Verstraete (tp), C. Gousset (tb), Pierre Gossez (ts), G. Badini (cl). Rue de la Paix : C. Bolling (p), P. Gossez (ts), A. Migiani (bs), F. Gérard (tp), R. Guérin (tp), C. Bolling (p), Charles Verstraete (tb). Piccadilly Romeo : A. Migiani (bs), F. Verstraete (tp), B. Vasseur (tb), P. Gossez (tb). Rocky : C. Bolling (tp), F. Verstraete (tp), C. Gousset (tb), P. Gossez (ts).           
Par chance, ces arrangements du Club Français du Disque bénéficièrent d’un preneur de son compétent en la personne de Raymond Vecheres. Pour revenir sur l’ensemble de ce coffret, regrettons que l’emballage n’ait pas été plus soigné. Je veux parler de l’indigence des textes d’accompagnement (alors que F. Ténot avait fait un si bon travail pour les LP originaux) et des erreurs concernant la discographie. Without A Song a été enregistré avec Rex, mais pas Washington Wobble (titre qui n’a pas été enregistré avec le même personnel que les titres deux et trois mais avec celui qui accompagnait Rex dans Without A Song). On a reproduit le même personnel du big band sur chacun des deux coffrets de deux CD alors qu’il y eut de nombreux changements. P. Michelot a aussi participé à une partie des enregistrements « Reinhardt » (Nuages – Minor Swing – Swing 42 / Manoir de mes rêves / Swing 39), au disque sur les succès de la Nouvelle-Orléans et aux compositions de Bolling ! Les dates des sessions du CFD sont en partie fausses… Cela ne doit pas vous empêcher d’apprécier ces séances importantes dans l’histoire du jazz en France.
Guy CHAUVIER - JAZZ CLASSIQUE