« Une légende » par Soul Bag

Je fus d’abord dérouté : pas de Tortilleurs, prédominance de rythmes lents ou médium, harmonica discret, étai-ce bien le bon disque ? Et puis tout s’est mis à sa place, 100% Benoît Blue Boy, comme il l’explique dans l’interview. On connaît son attirance pour le Sud des Etats-Unis, sa capacité à prendre du recul, son expérience, cette capacité qu’il a de ne jamais trop en faire, une voix juste posée, des solos d’harmonica simples qui créent l’ambiance, mais ne l’encombrent pas par une avalanche de notes, s’effaçant presque pour laisser la place aux accompagnateurs. Le choix d’Austin comme lieu d’enregistrement s’imposait : c’est le seul endroit où toutes les influences de Benoît sont présentes, blues texan, swamp blues, zydeco, rock’n’roll, tex mex, rhythm & blues. C’est bien ce que le disque contient : un authentique festival de ces musiques, servi par la crème musicale du genre. Les cuivres des West Side Horns sont chauds avec des arrangements proches du concert, à des années lumières des standards FM, la trompette s’attarde du côté des graves, le saxophone est grassouillet ; la basse a un son qui fait croire à la résurrection de Keith Ferguson, la guitare évoque Jimmy Ray Vaughan, Guitar Slim, Al Ferrier et le son Goldband à la fois ; l’orgue et l’accordéon apportent des contrepoints essentiels, la batterie laisse deviner les millions de sessions et de concerts qui donnent l’expérience propre à faire danser les morts. Encore une fois, plutôt que de prendre le devant de la scène, Benoît est complètement intégré au groupe, sa voix est comme l’ultime instrument, dont les notes seraient les mots, des mots français qui comptent parmi les seuls à exprimer le blues véritable. Benoît ne la joue pas « Nous sommes tous frères, le frère est une grande famille ». Ses textes privilégient le vécu, le quotidien, sous forme de constat, pas de revendication : »Voilà ce qui m’arrive, qu’est-ce que vous en pensez ? ». Et ça, il n’y a pas besoin de le jouer vite, sauf pour se dégourdir les jambes comme sur le hit potentiel Tous les jours à l’écoute duquel on se dit que, ça y est, les Fabulous Thunderbirds chantent en Français. D’autres titres vous tireront des larmes comme l’émouvant Toujours demain, qui rappelle les titres lents des disques de Lavelle White sur Antone’s, un slow à la fin duquel on a l’impression que les cuivres ralentissent encore plus le rythme pour augmenter le sentiment de fatalité. Un disque à écouter en lisant les commentaires de Benoît pour chacun des morceaux. Il y évoque ses souvenirs, ceux que les musiciens lui ont raconté, pleins de légendes, forgées par des gens simples dont la musique était le gagne-pain, mais qui savaient transcender tout cela pour donner de l’émotion au public. C’est cela que Benoît Blue Boy sera pour nos enfants : une légende.
SOUL BAG