« L’affirmation esthétique » par Jazz Hot

En mêlant Django, Charlie Parker, Lennie Tristano, Warne Marsh et Lee Konitz, Tadd Dameron et Jean-Sébastien Bach, l’affirmation esthétique des frères Ferré est claire : sortant la musique manouche de ce qu’elle peut avoir de folklorique, ils aspirent à une synthèse avec le jazz (et même le classique) initiée par Django lui-même puis par Laro Soreno qui devait ouvrir la musique manouche vers des horizons plus larges et permettre des trajectoires stylistiques comme celles de René Mailhes, Christian Escoudé, Patrick Saussois, Babik Reinhardt…faisant de la nuance manouche un accent particulier, ils s’inscrivent dans le jazz avec une originalité dont le monde du jazz n’a pas toujours conscience. Il est vrai que le monde du jazz est tellement submergé de produits extérieurs et artificiels que la véritable synthèse historique dont sont responsables les héritiers de Django passe facilement inaperçue comme « un mélange de plus », ce qu’elle n’est évidemment pas. La réalisation de cette ambition est ici diversement réussie car l’instrumentation se marche sur les pieds et la fougue n’est pas toujours domestiquée. Pourtant, l’enthousiasme et la pureté acoustique sont immédiatement séduisants, malgré une certaine confusion qui affleure parfois (sur « Hot House », sur l’interprétation de Bach où Jean-Marie est davantage en retrait). On admire l’élégance un peu austère d’Alain Jean-Marie, les citations multiples des guitaristes, quelques très beaux solos de guitare (« Sax of a kind », « Ornithology ») et des compositions réussies (« La bande des trois »). N’en déplaise aux artistes (où seulement à la « quatrième de couverture » non signée ?), le cool n’est pas leur langage. Ils jouent au contraire hot, c’est-à-dire expressif, alors que la musique de Lennie Tristanto ou de Lee Konitz revendique un horizon d’exploration harmonique dénué de feeling. La synthèse expressive et rythmique que représente l’héritage manouche « boppisé » est une des voies du jazz contemporain. Sans doute d’ailleurs la seule expression européenne du jazz qui soit authentique. Elle est malheureusement sous estimée car peu commerciale, au rendement marketing incertain, peu propre aux discours sur « l’innovation », bref trop indépendante d’esprit. James Carter ne s’y est pourtant pas trompé en rendant hommage à Django…Il est vrai que ni les Manouches ni les Noirs Américains ne sont en position de pouvoir pour diffuser leur art, contrairement aux musiques institutionnelles et commerciales.
Jean SZLAMOWICZ – JAZZ HOT