« Les trésors des îles d’Hawaï » par Les Inrockuptibles

Ces dernières années, c’est grâce au pèlerin Bob Brozman que la musique hawaïenne a fait une entrée remarquée dans toute les MJC de France. Avec ses étonnantes guitares National - croisement entre un moule à gaufres et une boite à biscuits, utilisées indifféremment comme guitare, batterie ou appeau à oiseau exotique -, le bon Bob marchait sur les traces de Tau Moe Family, en tournée européenne soixante ans plus tôt. Le concert berlinois de juin 1938 a dû faire un drôle d’effet. Car l’idée qu’on se fait du paradis ressemble drôlement aux roucoulades de la Tau Moe Family. C’est à peine de la musique, plutôt des caresses, des sourires, des chatouilles, des guili-guili à l’âme. Les premiers gazouillis d’une musique américaine excentrique qui a donné des Violent Femmes, des Beck ou des Pavement. Mais revenons à nos cocotiers. Au début du siècle, raconte cet estimable coffret d’incunables, Hawaï a la cote. Les pagnes, les colliers de fleurs et les filles en chocolat d’Honolulu déferlent sur le continent américain. Le bienheureux folklore américain (vaudeville, western swing) s’empare rapidement des trésors des îles d’Hawaï… un peu dépravés par l’usage de l’idiome américain. Car l’indigène hawaïen ne parle pas notre langue musicale : là-bas c’est comme si l’alphabet ne comportait que des voyelles. Le chant est suave et les notes glissent et fondent, chaudes et liquides. Qu’il est bon de ne pas comprendre le hawaïen, de se laisser bercer par cette langue purement sensuelle. Entre les mains des cowboys, la musique hawaïenne – débonnaire - devient américaine - laconique. Mais sous des doigts audacieux, le guitare en métal fait encore des merveilles. Dans le monde civilisé, les Hawaïens étaient fréquemment fichés comme « peaux-rouges ». Un de leurs émules, Jenks « Tex » Carman, était d’ailleurs un authentique cherokee, et un véritable cinglé. Son The Caissons go rolling along, chef-d’œuvre de guitare relativement frappé, vaut l’intégrale d’Eugene Chadbourne ou Hasil Adkins. Voir aussi Dany Stewart et son grivois Les Femmes d’Amérique, chanté en français pour bercer les censeurs. Voir Bob Wills swinguer sur le plage. Voir encore Roy Smeck, qui rend à l’expression « jouer de la guitare » son véritable sens : ludique. Voir enfin Louis Armstrong, citoyen d’honneur d’Honolulu, seul Américain d’Amérique habilité à crooner le bonheur sous les cocotiers. Dans une réclame des années, National vantait la solidité des ses guitares, « garanties à vie ». Le BVP confirme : soixante ans après, la magie des guitares National est intacte. Stéphane DESCHAMPS – LES INROCKUPTIBLES