« Au mieux de sa forme » par Le Journal

Si vous voulez re(découvrir) Duke au sommet de son art, au milieu des siens, il faut vous procurer sans plus tarder les 2 CD publiés par Frémeaux & Associés (FA 170), ce double album restitue l’univers Ellington dans sa somptuosité sonore, à travers ses plus beaux enregistrements gravés entre 1937 et 1946. Duke s’impose définitivement comme le maître de l’orchestration, à l’affût de nouvelles combinaisons de timbres, qui varient à l’infini grâce à l’usage intensif des sourdines, l’origine du style « Jungle ». Ellington a surtout été inspiré par les musiciens de son orchestre, pour lesquels il composait, « Les hommes du Duke » parmi ces hommes, le trombone Tricy Sam Nanton, dont Alain Paillet, l’auteur du remarquable livret (30 pages) qui accompagne l’album, se demande par quel procédé, il parvient à serrer d’aussi près le grain de la voix humaine. Autre « homme de Duke », Harry Carney, véritable inventeur du saxo baryton qui, solide comme un roc, officia pendant près de 50 ans dans la section de saxes du prestigieux orchestre aux côtés de Johnny Hodges, l’admirable et suave saxo alto, qui laisse jaillir le chant de son cœur, et qu’un jour Charlie Parker appela « Lily Pons » Hodges, en raison de ses qualités d’improvisateur lyrique. Au rang des cuivres, citons notamment parmi les « hommes du Duke » Cootie Williams, à la sonorité sombre et fauve, Rex Stewardt, au cornet, interprète à l’extraordinaire puissance et au drive rageur. D’autres individualités de grand talent ont appartenu à la famille Ellington : le clarinettiste Barney Bigard, l’enchanteur virtuose au timbre chaleureux et au phrasé aérien, le tromboniste Laurence Brown à la sonorité ample, le trompettiste Ray Nance, par ailleurs plein d’humour et de swing et…violoniste ! N’oublions pas, côté rythmique, le prodigieux contrebassiste Jimmy Blanton, mort prématurément à l’âge de 24 ans et le batteur coloriste, le mal aimé, spécialiste des balais, Sonny Greer. Tout ce beau monde, au mieux de sa forme, improvise ses meilleurs chorus sous la conduite du Duke, le plus grand architecte, organisateur de musique et poète du jazz de tout les temps : Ellington. Indispensable.
Jean-Claude de THANDT – LE JOURNAL