« La clarté de la diction et la sobriété expressive » par Le Mensuel Littéraire et Poétique

Du récurrent débat qui oppose poésie écrite et poésie dite, les nouvelles techniques d’enregistrement ont signifié la prescription. Depuis longtemps le disque compact, après le vinyle, a fait entendre en direct la voix des poètes  ou de leurs interprètes les plus qualifiés, les premiers n’étant pas forcément aussi convaincants que les seconds, mais indispensables pour le repérage d’une identité vocale. Lire le poème, dans le sanctuaire de la page imprimée, est une chose que même la page électronique ne saurait remplacer. Mais en écouter, en percevoir toutes les nuances de coloration, de rythme, d’inflexion prosodique et sémantique, est non moins nécessaire et complémentaire à la saisie d’un poète. Plusieurs collections nous proposent des disques de poèmes, encore récemment « Les Poétiques » de France Culture, conservation des soirées qu’André Velter organisa au théâtre. Il est plus rare de trouver une anthologie « à haute voix » qui vise à nous restituer la substance d’une œuvre entière, prose et poésie. C’est le cas de Robert Desnos : deux excellents acteurs-lecteurs, Eve Griliquez et Denis Lavant sillonnent tout le territoire et toute l’histoire du poète au moyen de deux CD qui devraient, je le crois, servir de référence, tant ils sont exemplaires pour la clarté de la diction et la sobriété expressive, dans l’un et l’autre registre. On est à mille lieux du « récital » traditionnel : le choix qui a été effectué dans le chemin d’écriture de Desnos, depuis Rrose Sélavy (1922) jusqu’aux tout derniers textes d’avant la déportation (Sol de Compiègne ou Lettre à Youki) s’articule sur un montage subtil qui doit moins au fil conducteur de la chronologie qu’à l’entretissage des thèmes, des tonalités, des proximités. C’est un tour de force, d’autant plus qu’il est malaisé, en raison de leur longueur, de toujours bien faire passer à l’écoute des passages en prose – extraits par exemple de « la Liberté ou l’Amour » - qui exigent une attention soutenue. Le refus de la fragmentation et de la séparation entre prose et poésie confère à cet enregistrement tout son relief sonore et sa valeur documentaire. On y perçoit mieux l’extraordinaire unité de Desnos, quels que soient ses caprices d’inspiration et ses explorations risquées. Denis Lavant et Eve Griliquez ont réussi ce pari, ce qui ne surprend pas vraiment quand on connaît la ferveur et la longue expérience de lecture d’Eve Griliquez, dans la fréquentation des poètes, de Raymond Queneau à Benjamin Fondane, entre tant d’autres, qu’elle n’a cessé de défendre par la voix au cours de soirées mémorables.
Charles DOBZYNSKI – LE MENSUEL LITTÉRAIRE ET POÉTIQUE