« Un toucher remarquable » par Jazz Hot

« C'est le premier album d'un jeune musicien qui entreprend le difficile exercice du piano solo. Et c'est une agréable découverte : l'homme possède toutes les qualités pour devenir un véritable interprète et un très bon musicien de jazz. Le programme de ce volume compte deux standards, deux classiques du jazz, cinq compositions personnelles et une musique d'animation sonore. L'album s'ouvre sur une très ancienne mélodie de Broadway, thème du film de Robert Z. Leonard, Marianne (1929), qui raconte la romance d'une jeune française (Marion Davies) avec un soldat américain (Lawrence Gray) venu en France pendant la Première guerre alors que son fiancé est au front et qu'il en reviendra aveugle… Benny Goodman popularisa cette mélodie en 1935, mais Fats Waller, Earl Hines, Teddy Wilson, Erroll Garner, Coleman Hawkins, Lester Young… et Ella en 1959 en donneront des versions remarquables. Ici, Marc Benham (qui ne joue pas le couplet verse, chanté dans le film) ne manque pas d'en donner une lecture « bopisante » (car la progression harmonique du thème servit de structure élémentaire à la composition de Monk, « Evidence » (1948 - 1962) dans l'introduction avant d'en revenir à une version stride revisitée. Le pianiste poursuit avec le titre éponyme, sorte d'improvisation harmonique d'où émerge progressivement la mélodie, qui ensuite est reprise dans une forme stride. L'atmosphère et l'organisation de cette pièce ne sont pas sans rappeler celles de « Lover » de Richard Rogers. Après l'exposition ad libitum du thème de « Think of One », le développement sur la pulsion stride, qui fonde toute la rythmique de Sphere, en découvre ses racines qui puisent dans l'univers de James P. Johnson. « Heure perdue », est un intermède ; la pièce emprunte à l'univers de Poulenc. « Angelica », enregistrée par le Maestro avec John Coltrane (Money Jungle en 1962), est ici réadaptée (avec un ajout de huit mesures) pour donner une logique à la thématique d'exposition originale proche du stride que le Duke tente d'installer avec « Trane » ; mais il y renonce, laissant le saxophoniste en trio pour ne réintervenir que dans la partie finale sur tempo "caraïbe". Benham, lui, installe une sorte de dialogue entre le pianiste Ellington des années 1920 avec le celui que Monk découvrira plus tard. « Idée de Buenos Aires », d'inspiration evansienne, est un « tableau de promenade ». Musique descriptive et de découverte. « Beau Blaise », commence sur une citation virtuose pour enchaîner sur une forme qui est un hommage à Garner. Bien balancé en même temps que rempli de surprises. « Heure Perdue 2 » est le second intermède impressionniste. « That's All » est exposé ad libitum. Le développement est formellement bien structuré dans une déconstruction savante et bien sentie. « Super Mario Land » est construit comme une invention en forme de variations sur un thème, tout à fait dans l'esprit des Children Corners… revu et corrigés et passé à la moulinette du jazz. C'est frais. Cet album est de qualité. Le musicien a réfléchi à ce qu'il fait. Le pianiste possède un toucher remarquable ; une clarté dans le jeu qui lui confère une musicalité assez rare. Il connaît le piano et son fonctionnement, cela s'entend. Son univers puise à l'esthétique de la musique française mais sans son maniérisme parfois insupportable. (…) A découvrir sans modération. »
Félix W. SPORTIS – JAZZ HOT