« En soixante ans d’une carrière hors-normes, Michel Portal continue de fasciner le public et le monde professionnel de la musique. Et cela pour plusieurs raisons.
Interprète incontournable du répertoire classique et romantique, signataire d’enregistrements d’œuvres contemporaines (à la création desquelles il a souvent été associé par leurs compositeurs) et qui font référence en la matière, souvent associé à ses débuts aux grands noms de la chanson française, il est en plus de tout cela l’un des acteurs historiquement essentiels du free jazz en Europe.
Ses condisciples au Conservatoire de Paris, sous la houlette du professeur sévère qu’était Ulysse Delécluse, racontent la facilité avec laquelle il se sortait des exercices les plus difficiles à la clarinette, instrument complexe et bien plus exigeant qu’il n’y paraît.
Michel Portal nous raconte ici son histoire et son cheminement dans une série d’entretiens recueillis et mis en forme par Franck Médioni, ce qui en soi est une gageure : notre homme ne se livre pas si facilement et n’accorde pas aisément sa confiance, il a besoin d’être rassuré. Et il parle comme il joue, et joue comme il parle : faisant état de ses coups de foudre musicaux, de sa curiosité insatiable pour toutes les musiques dès ses débuts à l’école de musique de Bayonne, de ses inquiétudes, de son parcours en travers duquel s’est posée la guerre d’Algérie, de ses détracteurs nombreux (mais comment ne pas attiser la jalousie lorsqu’on dispose d’un tel talent…).
Premier prix du Conservatoire, lauréat des concours internationaux les plus prestigieux, albums à succès, musiques de films primées, rien n’y aura fait : Michel Portal, quelle que soit la situation dans laquelle il se trouve au moment de jouer, remet tout sur le métier et reprend sa réflexion depuis le début, avec un engagement total dans la recherche de l’instant magique, du son rêvé (il faut lire ses mots sur Charlie Parker). Il est incapable de se résoudre à la sérénité en s’appuyant sur sa virtuosité d’exception, sur son expérience ou son statut médiatique. Il fuit la certitude comme la peste, par intégrité pourrait-on dire, pour être certain de se mettre en danger et de poursuivre sa quête absolue.
À l’image de ses improvisations sur scène, sa parole nous emmène dans une histoire pleine de soubresauts et d’imprévus, on part d’un sujet pour finir sur un autre… et pour finalement comprendre à la fin de la page le sens global du propos qui s’impose à nous.
Bravo à Franck Médioni pour ce travail remarquable qui restitue pleinement l’unicité d’un artiste décidément singulier. Singulier comme sa sonorité reconnaissable entre mille, qu’il s’agisse de la musique de Boulez, de Mozart (un des fils rouges de son parcours) ou de ses propres compositions.
Et nous vient en mémoire le titre de l’une d’elles, et qui lui va si bien… Intranquilo. »
Par Nicolas SAVY – COULEURS JAZZ
