« Le jazz triomphant » par Culture Jazz

« Je garde en mémoire l’achat d’un 33 tours, au vingtième siècle, de Jimmy Gourley (1926-2008). J’avais alors noté que ce bougre de guitariste que je ne connaissais pas encore se payait le luxe d’avoir la rythmique de Stan Getz, rien moins. Le saxophoniste, lui, s’appelait Dju Berry… et je ne savais pas encore que c’était un pseudonyme qui masquait le nom véritable du musicien alors sous contrat avec Verve : Stan Getz. Cette anecdote personnelle pour vous signaler que vous en trouverez une myriade d’autres, bien plus intéressantes, dans le livre sorti en juillet dernier que lui consacre son épouse, Rolande Hugard-Gourley. Arrivé à Paris en 1951, le natif de Saint-Louis a connu et joué avec le gratin d’un jazz aujourd’hui assez mal en point. Je vous épargne la liste, plus longue qu’un jour sans pain, où l’on croise Dexter Gordon, Lou Bennett, Eddy Louiss, Daniel Humair, Lester Young, Bud Powell, Clifford Brown, Lou Levy (encore un talentueux oublié du jazz) ou son pote de lycée Lee Konitz et quelques dizaines d’autres. Écrit selon une chronologie rigoureuse, l’ouvrage fait défiler le jazz triomphant des années cinquante et soixante à Paris, avant que la pop et le rock le malmènent et le masquent, sans ignorer les difficultés rencontrées à s’exprimer musicalement dans les décennies suivantes par cet adepte d’un jeu au swing clair et parfaitement articulé, dont l’un des mentors était Jimmy Raney, l’autre étant Ronnie Singer (1925-1953), prématurément décédé. On trouve d’ailleurs en ligne quelques traces enregistrées de cet artiste sur Youtube. L’élégance était la marque de fabrique de Jimmy Gourley (quand une note suffit inutile d’en jouer deux) et son phrasé la reflétait dès lors qu’il empoignait sa Gibson ES-150. Tous ceux qui l’on connut et qui témoignent dans cette biographie disent qu’à sa façon il a changé le jazz français. Une chose est certaine, son toucher et son attaque ont marqué le jazz de son époque et, ladite époque ayant durée presque six décennies, il en reste aujourd’hui dans le jazz un je ne sais quoi de prégnant bien qu’enfoui dans les limbes d’une mémoire bousculée par un monde ayant perdu le sens de la nuance. Frémeaux & Associés faisant les choses avec rigueur et précision, ils ont profité de la sortie de ce livre pour éditer une compilation en trois disques qui balaye l’ensemble de son œuvre de 1951 à 2002. Elle porte le même nom que le livre et la direction artistique en a été confiée à Jean-Paul Ricard et notre précieux contributeur à Culture Jazz, Jean Buzelin. »

Par Yves DORISON - CULTURE JAZZ