« Un vrai plaisir » par Chant…Songs

« Nouvelle pierre à notre mémoire sonore, le coffret Aristide Bruant – La sélection définitive (1905-1913) témoigne de la force d’inspiration de ce rebelle qui fut un pionnier de la chanson réaliste. Et qui avait déjà tout compris de la promotion. Difficile de se faire une idée du talent d’Aristide Bruant qui officier à une époque où les enregistrements originaux étaient rares et dont la qualité était à désirer. C’est dire l’intérêt de ce coffret Aristide Bruant (*) qui regroupe 72 prises originales (notamment un surprenant titre bonus, Le Jiu Jitsu, et est accompagné d’un CD avec les principaux interprètes de l’artiste, que ce soit Marc Ogeret, pour Nini Peau d’Chien; Yves Montand dans la célèbre version des Canuts ou encore (et surtout) Patachou dans la réjouissante Aux frais de la princesse et, bien sûr Yvette Guilbert (J’suis dans le bottin).
Pour le reste, on prend plaisir à découvrir (ou redécouvrir) comment ce natif du Loiret – il est né le 6 mai 1851 à 25 kilomètres de Montargis - a su vaincre les coups de la vie pour devenir un artiste reconnu et marqué de sa griffe et de sa voix rauque et puissante la chanson, créant ce style réaliste qui allait connaître de beaux jours. Une vocation que sa famille verra d’un très mauvais œil. C’est en 1881, quand des interprètes de renom de l’époque, tels Paulus et Jules Jouy, lui ouvrent les portes du Chat Noir qu’Aristide Bruant va se faire connaître dans ce cabaret de la rue Rochechouart que fréquente les grands poètes du moment. C’est là aussi qu’il met la dernière touche au costume de velours qui le rendra célèbre. Son paiement de l’époque ? Les petits formats que le patron de l’établissement l’autorise à vendre, à défaut de lui donner un cachet…
Mais c’est au Mirliton, un local qu’il aménage pour se produire que, malgré les coups du sort et des engueulades célèbres à l’encontre du public, il conquiert ses titres de noblesse et se permet de fumer durant le tour de chant, de se mettre debout sur les tables avec ses bottes ou de lancer à la cantonade aux gens de la bonne société venus s’encanailler : « Tas de cochons ! Gueules de miteux ! Tâchez de brailler en mesure. Sinon fermez vos gueules. » En imposant un Toulouse Lautrec comme affichiste, Bruant devient une véritable star de l’époque. De fait, Aristide Bruant a réussi à célébrer en chansons tout un petit monde de déclassés, de crapules et s’inscrit dans la droite lignée de la mode des écrivains naturalistes qui vont d’Émile Zola à Joris-Karl Huysmans. On le mesure par exemple avec des titres comme Chez les Apaches ou encore le fameux À Biribi sans oublier les couplets grivois de Chez ces dames.
Servant aussi de guides dans le Paris de l’époque, ses chansons sont faites de l’encre des rebelles, des insoumis. Portant cheveux longs et un légendaire foulard rouge, Bruant n’hésitait pas aussi à brocarder l’ordre, y compris militaire. Il écrivait : « Partout on flatte les richards. On se met à plat ventre devant eux. On leur passe l’encensoir sous le nez. Ils passent, hautains, méprisants, la revue des petits gens qui s’inclinent, éblouis. » Des propos qui tiennent encore la route aujourd’hui.
Et l’on prend un vrai plaisir à réentendre la voix puissante du créateur de Aux Bat. Daf. »
Par François CARDINALI – CHANT...SONGS