Al Lirvat ou la générosité musicale par Jazz Magazine

Al Lirvat, tromboniste, guitariste, compositeur et chef d'orchestre est mort le 30 juin 2007 à Paris. C'est toute une époque de sa vie du Jazz en France qui disparait avec lui. Dans le Paris des années 70 débutantes, à La Cigale du Boulevard Rochechouart où la soirée coûtait le prix d'un demi tarif brasserie, officiait Al Lirvat, la générosité faite musicien. Générosité de son trombone, puissant, cuivré; générosité musicale, ouverte à tous les grands courants transatlantiques, du ka guadeloupéen au bebop et à ses prolongements; générosité humaine qui rendait son orchestre accueillant à tous les nouveaux talents (André Coudouant, Michel Sardaby, Alain Jean-Marie, entre autres, peuvent en témoigner). Avec Robert Mavounzy, un des premiers émules de Charlie Parker sur le sol français, il proposait une musique plaisante, à son goût, comme à celui du public. Cela pouvait aller de Petite Fleur à des chansons antillaises en passant, toujours, par des standards du Jazz dans l'interprétation desquels la modernité insérait des vagabondages imprévus. Cette Cigale-là était un petit lieu de bonheur et ceux qui ont eu la chance de la connaître n'effaceront pas de leur mémoire une tendresse certaine pour Al Lirvat. La Cigale ne représenta pourtant qu'un moment, en fait deux, dans sa vie. Né à Pointe-à-Pitre en 1916, il pratique de bonne heure la musique en touchant de divers instruments à corde; il est, dès la lycée, chef d'orchestre et compositeur. Il arrive à Paris en 1935 pour y suivre des études de radio mais y rencontre Pierre Louiss (le père d'Eddy) avec qui il forme un duo mêlant musique antillaise et jazz. Pendant l'occupation, il demeure à Paris et entre dans l'orchestre du trompétiste Felix Valvert qui l'incite à se mettre au trombone. Il rejoint ensuite le groupe du batteur d'origne camerounaise Freddy Jumbo qui se produit à la Cigale. En 1943, il participe à la création du Hot Club Colonial. Après la Libération, tout en continuant à jouer du Jazz, adoptant les nouveautés qu'il a decouvertes à l'écoute du grans orchestre de Dizzy Gillespie, il entreprend de moderniser la Buiguine : il intensifie ses polyrythmies et enrichit ses harmonies de manière à rendre possible des phrasés plus originaux sans atténuer les couleurs et les souplesse de la musicalité créole. En 1969, il revient à La Cigale, dont il dirigera l'orchestre jusqu'en 1975. Par la suite , son activité se fera plus discrète, plus axée sur la composition mais, extrêmement respecté par les jazzmen et les musiciens antillais, plusieurs hommages lui seront rendus, notamment par Alain Jean-Marie, Eric Vinceno, et le producteur Henry Debs. Les microsillons 33 et 45 tours gravés par Al Lirvat sont aujourd'hui introuvables, mais on peut l'entendre à la guitare et au trombone dans quelques faces du coffret "Swing Caraïbe" (Frémeaux FA069). En espérant qu'un jour une rétrospective lui soit consacrée et démontre tout ce que le jazz français et les musiques antillaises doivent à ce grand musicien. Denis-Constant MARTIN-JAZZ MAGAZINE