"Beau, puissant et émouvant" par Hexagone

Un jour il faudra se poser la question: par quel monstrueux revers faustien celui qui fut - avec Higelin un des plus clairs hérauts de la jeunesse des années 80 (en sombre héraut, il y avait Thiéfaine) a-t-il pu, après être monté si haut, tomber si bas? Icare brûlé au feu du vedettariat, prisonnier de l'enfer médiatique dans lequel il s'est lui-même jeté. Comment cet artiste, doté de tous les talents et beau comme un dieu, a-t-il pu déchoir au point d'incarner aujourd'hui un repoussoir quasi universel, objet de toutes les railleries? Réduit à ses turbulences télévisuelles et politiques. Son œuvre pourtant conséquente et souvent digne d'intérêt, ne serait-ce que dans ses fastes premières années - au purgatoire, sans réelle postérité. -

 Paru en 2017, son dernier album en date depuis, il ne publie ses nouvelles chansons que sur Internet était consacré à... Ferré. On connaît l'amitié qui unit les deux hommes, au grand dam de certains gardiens du temple qui n'eurent pas de mots assez durs pour qualifier le barde à cuissardes. Avouons-le: cette faculté à irriter l'orthodoxie ferréesque nous plaît. A sa façon plus anarchique qu'anarchiste, Lalanne a partagé avec Léo suffisamment de points communs (l'ambition opératique contrariée, l'édition de poésies, un lien avec le metteur en scène et comédien Richard Martin) et de scènes pour qu'un tel hommage soit légitime

 Comme toujours avec Lalanne, rien n'est simple: ce disque censément enregistré en 2013 avec le groupe de rock marseillais Carré Blanc est en fait constitué de bric et de broc. La mémoire et la mer date de 1988 - parue en 94 dans l'album Les inédits-, enregistrée dans la douleur, au lendemain de la mort d'un ami navigateur (Olivier Moussy) à qui Lalanne rendait ainsi hommage, piano-voix au bord de la brisure, émotion à fleur de peau. Déjà gravé lui aussi (en 1996), À Léo... est un long poème chanté-parlé accompagné au synthé. Sur une mélodie << à la manière de» (entre Richard et Cecco), Lalanne s'adresse à Ferré sur un mode à la fois filial et fraternel. Humble mais sans fausse modestie: de poète à poète. Les grincheux diront qu'il p(o)ète plus haut son c... mais dans le genre, que c'est une réussite. Il a hélas la curieuse idée d'en réenregistrer des bouts pour les placer en intro d'autres morceaux, ce qui s'avère redondant. Idem, nous ne sommes pas fous du duo virtuel Pauvre Rutebeuf, procédé d'habitude réservé aux hommages variéteux.

 Avec le temps est classiquement exécuté (piano, cordes) d'une voix limpide, quasi liquide. A l'inverse, celle-ci devient rauque dans Les anarchistes (aux guitares sèches menaçantes). Sur ce arrive le groupe et ses (gros) sabots électriques. A première vue, C'est extra, Jolie môme ou L'affiche rouge pâtissent de ce traitement un peu pompier. Mais, étrangement, on finit par s'y faire : cette pesanteur rock a du bon, qui permet à la voix de tirer tout ça avec un lyrisme assumé, voire échevelé vers le haut.

 Enfin il y a LE bijou du disque, qui à lui seul en justifie l'écoute : un autre poème-chanson, La promesse, suite de A Léo... dont il reprend la progression harmonique, mais avec le groupe donc moins rêveur-aérien, plus ancré dans la réalité : cette fois, ce n'est plus une lettre, mais un bilan de santé. Francis prend prétexte d'une adresse à Léo pour parler de Lalanne... ce qui est la meilleure façon de dépasser l'exercice de l'hommage, forcément corseté faire œuvre personnelle. Nous ne détaillerons pas ce qu'il y a de beau, de puissant, d'émouvant et aussi parfois de risible - dans ce morceau : il faut l'entendre. Il résume la vie et la carrière du chanteur botté depuis sa << chute ». C'est, bien plus que le second CD (une longue interview, éclairante mais un peu complaisante), son Vous savez qui je suis maintenant. La meilleure façon de se reconnecter à lui. Et si après ça, on ne l'aime toujours pas... ce sera pour de vraies raisons, non plus pour quelques clichés ayant la vie dure.

 

Par Nicolas BRULEBOIS - HEXAGONE