C’est un ouvreur de portes sur la liberté par On-Mag

"Y a-t-il plus moderne, plus inclassable, plus étrange en jazz que le pianiste Thelonious Sphere Monk ? Mais il est d’une modernité qui ne doit rien à la mode, bien au contraire, qui est moderne parce que lui-même l’est, en autodidacte têtu qui a refusé tous les académismes. Ce qui frappe chez lui, et ce double volume de la collection Quintessence le montre très bien, c’est à quel point il s’inscrit dans la tradition du jazz pour en être le négatif parfait. Et cela donne, pour l’auditeur, un confort d’écoute total malgré les dissonances, les ruptures de rythme qui devraient le secouer. Car Monk ne joue pas comme on joue à son époque. Ces CDs couvrent les trois périodes de Monk, Blue Note, Prestige et Riverside, les trois labels indépendants les plus respectés. Ce qui frappe aussi, c’est la constance avec laquelle il est toujours lui-même, quelle que soit la formation qui est avec lui. Autre caractéristique de Monk, l’inventeur du bebop, dit-on (c’est plus complexe que ça) : sa capacité à être entouré des meilleurs, comme s’il aimantait les grands musiciens (Edmund Gregory devenu Sahib Shihab après sa conversion, Art Blakey, Max Roach, Frank Foster, Percy Heath, Miles Davis, Milt Jackson, Kenny Clarke, Sonny Rollins, Oscar Pettiford, Gerry Mulligan, Roy Haynes, Phil Woods, Charlie Rouse, Pepper Adams). Sans oublier Coleman Hawkins et John Coltrane qu’il fédère sur un « Epistrophy » de rêve (ce qui a dû donner des migraines aux coupeurs de jazz en rondelles, aux classificateurs à tous crins, Hawkins et Coltrane jouant ensemble, et du bebop. Thelonious Monk, c’est le compositeur de thèmes fabuleux (« Round Midnight », « Straight no chaser », « Reflections », « Rhythm-a-Ning », « Crepuscule With Nellie ») mais aussi le pianiste magicien qui casse les standards pour les reconstruire en Monk (« Just a gigolo », « Bag’s Groove », « Black & Tan Fantasy » ou « Tea for Two »). C’est un ouvreur de portes sur la liberté, bien trop ignoré de certains jeunes musiciens qui croient jouer moderne en jouant faux. Qu’ils écoutent Thelonious Monk, l’iconoclaste heureux d’avoir « sonné comme James P. Johnson », il y a des leçons à y prendre."
par Michel BEDIN - ON-MAG