De la chanson swing tout simplement par L'Affiche

Quand on s’appelle Irène de Trébert et que l’on a vingt ans sous l’occupation on est, dans le meilleur des cas, programmée pour un grand mariage à la Madeleine ou St Augustin et des galas de bienfaisance placés sous le haut patronage du Maréchal Pétain. C’était le temps vert-de-gris des ersatz et produits de substitutions : rutabagas et topinambours, saccharine et café d’orge grillé, bas en fond de teint avec couture dessinée au crayon à œil, pantoufles en cheveux et galoches à semelles de bois… Malgré tout ce joyeux folklore qui occupait bien la vie des Français, il restait un peu de temps pour le cinéma et la danse officiellement interdite dans les lieux publics. Là aussi ce fût le temps des salmigondis, d’ailleurs assez luxueux, où s’ébattaient Zarah Leander, Marika Rökk et Peter Kreuder, lots de consolation austro-hongrois pour le perte de Garbo et Marlène (Zarah), les claquettes de Ruby Keeler ou Eleanor Powel (Marika), les romances de Cole Porter ou Irving Berlin (Peter Kreuder et consorts). On vit aussi beaucoup Danielle Darrieux, Viviane Romance, Pierre Fresnay, Alix Combelle, Michel Warlop et Raymond Legrand prirent la place laissée vacante par Coleman Hawkins, Stéphane Grappelli et Ray Ventura. On le leur reprocha et ce ne fut pas forcément très juste. Irène chaussa les claquettes et devint la mademoiselle swing de l’Etat français, ce qui est, on l’aura peut-être remarqué, un peu paradoxal. En ces temps de dénonciation, Melle Irène ne dénonçait rien. Elle ne militait pas non plus « pour une France swing dans une Europe zazoue » comme raillaient les pamphlétaires de la presse collabo. Elle fit de la chanson swing tout simplement. Cela ne valait Ella Fitzgerald mais c’était toujours mieux qu’André Dassary (« Maréchal, Nous Voilà ») ou Tino Rossi. Les standards nationaux s’appelaient « Le Premier rendez-vous » (triomphe de Darrieux), « Swing 39 » ou « Swing 42 » de Django Reinhardt. Les meilleurs titres de cette intégrale ont un côté nettement Trénet (« Tic », « Stop », « Swing  rêverie », « En balayant le Parquet », « Le Gangster aimait la musique »). Dans les moins bons, vers la fin, çà vous annonce fâcheusement les quinzes années de sérénades tex-mex qui s’ensuivirent, cuisinées par Francis Lopez pour Luis Mariano. Heureusement, il y a les parodies du chef Raymond Legrand (mari d’Irène et papa de Michel), « Sérénade inutile » ou « Guitare à Chiquita » pour contrer l’invasion des « Jim, Oh ! Jimmy » et autre « On danse à Mexico » commis par Lopez quelques semaines avant le débarquement, premier vent d’ouest que les Fritz ne cherchèrent même pas à censurer. Il est vrai qu’un autre Western  allait se danser en Normandie. Irène fut dans ses petits souliers  les mois qui suivirent. On avait vu en elle qu’une pâle copie de Ruby Keeler. Bien ou mal, d’aucuns jugèrent qu’on l’avait  trop vue et entendue. Sa carrière était terminé à 24 ans. A cet âge là Ginger Rogers dansait avec Fred Astaire dans « Top Hat »… Non, décidément ce n’était vraiment pas une chance d’avoir vingt ans sous l’occupation. Et vingt ans sous les lois Debré ? Mister MAMBO – L’AFFICHE.