« De quoi passer du bon temps » par ABS Magazine

Quant on est trop concentré sur un style musical, on a tendance à oublier l’histoire et les vases communicants, le « blues » (apparu circa 1875) est un style vocal antérieur à l’apparition du « jazz » (circa 1895) qui, à l’origine, voulait imiter la voix humaine avec des instruments à vent, avant de récupérer la voix en tant qu’instrument supplémentaire. En outre, comme les gospels, les marches, les rags et les succès du jour, le blues, surtout, sont repris en tant que thèmes par tous les jazzmen des années 1920’s jusqu’au free jazz et aux fusions d’aujourd’hui. De nombreuses anthologies et autres volumes de la série « Quintessence » de l’éditeur Frémeaux & Associés témoignent de ces relations étroites et de totale osmose entre blues et jazz, entre autres les 2 recueils dont il est question ici. Les 40 faces de « Jazzmen play the blues » sont majoritairement instrumentales mais suivent généralement le canevas classique en 12 mesures comme le montrent tant la sélection exemplaire que les notes de pochette de Jacques Morgantini – dont l’expertise tant en blues qu’en jazz est bien connue – à commencer par Louis Armstrong qui en 1947 chante « Back o’town blues » (en 12 mesures) comme « West end blues » en scat (1939) et les autres exemples pullulent., comme l’intro de guitare de Teddy Bunn dans « Really the blues » (1938), du trompettiste Tommy Ladnier surnommé « le Roi du blues » après avoir accompagné des années durant Ida Cox, Ma Rainey, Bessie Smith, la performance de Floyd Smith (gt) dans « I ain’t feeling so long » et celle de Mickey Baker dans « Mighty low » (avec Milt Buckner,p), etc. Nombre de solistes font littéralement parler leur instrument comme les trompettistes Bubber Miley (Black and tan fantasy), Cootie Williams (Mobile blues), Rex Stewart (Jug blues), Sidney de Paris (The call of the blues), Buck Clayton (Blues too) sans oublier Oran « Hot Lips » Page (également shouter qui, hélas, oublie de chanter dans « House party » et dans « Carrie Mae blues), des trombonistes comme Tricky Sam Nanton, Kid Ory, Vic Dickenson, des clarinettistes comme Barney Bigard, Johnny Dodds et Sidney Bechet et des saxophonistes comme Johnny Hodges, Arnett cobb, Illinois Jacquet et Louis Jordan (Impérial dans Inflation blues). Au rayon pianistes, on appréciera le sens du blues chez Count Basie, Lionel Hampton, Buddy Johnson (sans sa chanteuse de sœur Ella dans Minglin’, dommage !), Sonny Thomson (Long gone pt 2), Sammy Price (House Party) et les spécialistes du boogie woogie comme Milt Buckner (Vibe boogie) , Albert Ammons (Bottom blues n°2) et Pete Johnson en duo avec Ammons dans « Cuttin’ the boogie ». Ajoutons encore Johnny Otis (avec Devonia Williams –p et Pete « Guitar » Lewis –gt) dans « One nighter blues, Dinah Washington avec Lionel Hampton dans « Salty papa blues » et deux guitaristes de légende Tiny Grimes (Rockin’the blues away) et T-Bone Walker qui transcende « Blues for Marili ». Que demander de plus ? Avec « The Best Small Jazz Bands », Morgantini est toujours aux commandes (sélection et notes de pochette) et, au fil des 36 faces, on retrouve pas mal des musiciens de l’opus précédent dans d’autres chefs-d’œuvre où blues et jazz se mêlent sans vergogne, pour un plaisir d’écoute hors du commun : « Hot Lips » Page, Arnett Cobb et d’autres et surtout de vieilles connaissances comme T-Bone Walker qui chante et montre à nouveau son inventivité et sa modernité à la guitare (Strollin with bone en 1950 et Street walkin woman en 1951, Fats domino (I know 1954), Jack McVea avec Gene Philipps –gt (Ok for baby, 1945), le Tiny Grimes Quintet (Call of the wild 1953), Louis Jordan (Salt Pork, West Virginia, 1945), Roy Milton avec la pianiste Camille Howard (The numbers blues, 1950) et les boogie men Albert Ammons (Boogie woogie stomp, 1936) et Amos Milburn (Roomin’house boogie, 1949). De quoi passer du bon temps.
Par Robert SACRE – ABS MAGAZINE