« Grandiose » par Jazz Classique

Le dernier volume de cette intégrale, bien réalisée, des enregistrements de Rosetta Tharpe nous avait permis de découvrir (ou de redécouvrir) l’incroyable cérémonie de mariage publique de la Sister dans un stade de Washington plein à craquer, petit WattStax avant l’heure ! Il nous laissait avec une session Decca datée du 27 juillet 1953, et le présent Vol.5 reprend la suite chronologique, avec une autre session pour le même label, le 17 octobre de la même année. Tharpe enregistre six titres ce jour là, dont un resté inédit, et accompagne à la guitare Marie Knight dans quatre autres morceaux, mais d’une manière si discrète qu’elle en devient totalement inaudible, au sens premier du mot. Le compilateur n’a pas voulu pourtant nous priver de ces quatre faces, dont l’étonnant Calvary, Marie Knight y étant, comme à son habitude grandiose. Certains des autres titres sont des duos vocaux Tharpe/Knight : Stand The Storm, dans lequel Rosetta livre de plus swinguant solo de guitare, Shadrack et le très lowdown Nobody’s Fault But Mine. Un autre titre de la séance, Sing and Shout, propose Rosetta en duo avec elle-même, par le biais du re-recording. Il faut saluer au passage les claviers de la session, le pianiste James Roots et l’organiste Annette Weber. Le cinquième titre, qui aurait dû être le premier proposé, est repiqué d’un exemplaire passablement usé, seul cas de cette espèce dans ce volume de l’intégrale. Dommage, car ce I’m So Glad est un blues bien senti de top niveau. Sister Tharpe va encore graver une douzaine de titres pour Decca en deux sessions, entre 1953 et 1956, ce qui est bien peu au regard de sa production passée et démontre combien la popularité de l’artiste est alors retombée. Deux de ces titres sont des gravures profanes réalisées avec l’orchestre de guitariste Lery Kirkland, le premier, Don’t Leave Me Here To Cry, dans lequel Rosetta sanglotte à chaudes larmes, sur fond de saxo ténor, restant très anecdotique, ce qui n’est pas le cas du second, What Have I Done ?, plus émouvant. Avec la séance du 4 août 1954, Tharpe retrouve le trio du pianiste Sammy Price, avec Everett Barksdale à la guitare, Hayes Alvis à la basse et Terry Snyder à la batterie. Ce sont de grands disques, proposant une artiste toujours au sommet de son art. Le Everytime I Feel The Spirit, en particulier, pris sur un tempo d’enfer propose trois interventions en duos des deux guitaristes, Barksdale et Tharpe, un moment fort de ce volume. Look Away In The Heavenly Land offre en prime la voix de Marie Knight, avec toujours le jeu des deux guitares. La même session voit l’enregistrement de deux titres de Noël, avec les Sy Oliver Singers, c’est hollywoodien et moins séduisant, mais bien de son époque. Pour l’ultime session voit l’enregistrement de deux titres de Noël, avec les Sy Oliver Singers, c’est hollywoodien et moins séduisant, mais bien de son époque. Pour l’ultime session Decca, le 23 février 1956, Sister Tharpe est accompagnée par les voix masculines des Richmond Harmonizing Four. Leur version de Don’t you weep sonne parfois comme la protest-song We Shall Not Be Moved. Le meilleur de ces quatre titres est sans doute I’ve Done Wrong, Everett Barksdale y est un régal du début à la fin. 1956 voit donc la fin du contrat Decca de l’artiste, qui termine la décennie chez Mercury, un label orienté rythm’n’blues – Louis Jordan y fait un tabac et signe cette même année son album « Rock’n’Roll » - ce qui ne peut que convenir à notre « rockeuse de gospel ». Le second CD de ce volume est consacré eux treize titres de l’album Mercury MG20201, complété  par les 4 faces de deux 45 tours devenus rares. Les claviers Ernest Hayes, piano, et Harry « Doc » Bagby, orgue, assurent l’accompagnement adéquat, soutenus par Lloyd Trotman à la basse et David « Panama » Francis à la batterie. Tharpe s’y fait entendre au fil de quelques solos de guitare toujours bien sentis, même si moins nombreux que souhaités (elle joue en accompagnement dans certains titres). La plupart des titres de l’album sont intéressants – Cain’t No Grave Hold My Body Down, Up Above My Head There’s Music In The Air, Jericho – avec le soutien de nouveau des Harmonizing Four dans certains titres, mais la surprise  provient de deux 45 tours qui proposent deux titres exceptionnels, Can’t Do Wrong And Get By et Let It Shine (This Little Light Of Mine). Le dernier en particulier démontre que l’art de la Sister n’avait rien à envier à celui des rockeurs de l’époque. Son Let It Shine, souple et bien enlevé, aurait dû être un tube ! Après cette session du 3 juin 1957, Rosetta gravera encore un album pour Mercury en septembre 1958 mais, entre temps, viendra en Europe pour la première fois, en décembre 1957, et y rencontrera un succès salutaire pour sa carrière, devenant dès lors plus populaire sur le vienx continent que dans le nouveau monde. Ce moment est documenté dans le CD « Chris Barber Presents… » chroniqué dans la Amen Corner de ce même numéro. En complément du CD 2 Jean Buzelin, à qui l’on doit cette série de l’intégrale Tharpe et les abondantes notes de livret, propose un petit retour en arrière avec un « live » à l’Apollo en 1950/52 récemment découvert, un bon document, vivant et d’assez bonne qualité sonore. François-Xavier MOULE – JAZZ CLASSIQUE