« Hurler le blues avec ses tripes » par Blues Magazine

Le terme Blues Shouters est né dans les années 30 à Kansas City. A cette époque, les grands orchestres de jazz et de blues comptaient dans leurs rangs des chanteurs ou chanteuses à la voix puissante. En effet, au milieu d’un big band survolté avec une section de cuivres débridée, et devant des joueurs de poker enivrés, il fallait bien se faire entendre. A Kansas City, malgré la prohibition en vigueur, le maire décida que sa ville ne fermerait pas ses portes aux plaisirs démoniaques et charnels, à savoir l’alcool, les jeux, les prostituées, et bien entendu le blues. Ceci explique la venue de moult musiciens dans cette ville festive et lubrique, où le whisky coulait à flots, car ils étaient certains d’y trouver des contrats. Ce luxueux coffrets, comme à l’accoutumée avec la maison Frémeaux & Associés, superbement bien documenté par Jacques Morgantini, nous propose 40 titres allant de la période 44-45, des plus grands spécialistes du style chanteurs/hurleurs (shouters). Ça commence avec Big Joe Turner qui n’a cessé de son vivant de hurler le blues avec ses tripes comme si sa vie en dépendait, à l’instar d’un Howlin’Wolf dans un autre registre. On retrouve Big Joe avec des classiques tels que ‘Feelin So Sad’, ‘T.V. Mama’ ou bien avant Bill Haley ‘Shake Rattle & Roll’ qui annonce les premiers balbutiements du rock’n’roll. Vient ensuite le colossal (dans tout les sens du terme) Jimmy Rushing et sa voix de stentor. L’archétype du ‘Blues Shouter’ par excellence. Né en 1903 à Oklahoma City, ce dernier avait l’art de faire swinguer les mots comme personne, avant qu’il décède tragiquement en 1972 d’une leucémie. Wynonie Harris quant à lui a débuté sa carrière dans l’orchestre de Lucky Millinder avant de faire une fructueuse carrière dans sur des tempos trépidants comme notamment ‘Here Comes The Blues’ ou ‘Good Rockin’ Tonight’ avant qu’Elvis Presley en enregistre une version universelle du côté de Memphis. On retrouve également le saxophoniste texan Eddie Vinson dans un style gouailleur qui lui colle à la peau. Jimmy Witherspoon est aussi au programme et tient une place prépondérante au milieu des meilleurs blues shouters. Originaire de l’Arkansas, il débuta le chant dans les chœurs de l’église de son petit village natal. Chanteur convaincant à la voix de velours, à la fin 40’s Jimmy Witherspoon fut une grande vedette du rhythm & blues et obtint de nombreux hits pour les labels Modern et Federal. Viennent ensuite Sonny Parker dont la voix puissante faisait des merveilles au sein de l’orchestre de Lionel Hampton, l’incontournable Louis Jordan avec le célèbre ‘Let The Good Time Roll’, Eddie Mack, le légendaire Roy Brown et bien d’autres héros plus ou moins obscurs du style des ‘hurleurs’ de la musique du Diable, formidables vocalistes au look impeccable et à la tenue vestimentaire extrêmement soignée. Ce coffret de deux CD regorge de trésors entre blues, jazz, swing et rhythm and blues et démontre l’importance à travers l’histoire de ce courant blues capital ; Encore bravo et merci au label Frémeaux & Associés, ainsi qu’à Jacques Morgantini pour leur fabuleux travail de recherche et de conception qui rend l’objet indispensable et exaltant !
Serge SCIBOZ – BLUES MAGAZINE