« Insuffle une vie régénérée aux figures tutélaires » par Libération

« Le pianiste Sébastien Troendlé lâche la bride. Si vous aimez les morceaux syncopés de boogie-woogie, le rag entraînant et les touches qui bondissent, ne sautez pas lundi prochain le concert au Petit Journal Montparnasse. Rag'n Boogie, le disque solo de l'Alsacien époussette l'esprit et dégourdit les jambes. Nous partageons début novembre un pichet dans un bistrôt parisien. Pour lui, "boogie-woogie et ragtime se confondent. Le genre barrelhouse, du nom des bars à alcool qui recrutaient les  pianistes, a changé de nom en 1927, par la grâce des basses martelées phénoménales du morceau Pinetop Smith's Boogie-Woogie. Dans la période qui chevauche le siècle dernier (1880-1920), le ragtime, plus mélodique, davantage élaboré, pratiqué par les Noirs cultivés, mieux reçu par la bourgeoisie locale, mélange rythmes africains, antillais et influences européennes (Chopin, Liszt). Bars ou salons huppés qu'importe! Pour les esclaves affranchis de Louisiane, le piano symbolise l'accession à un statut social : tout le monde veut en jouer. Du reste ne s'en prive pas!" On rêve de se retrouver dans une rue de La Nouvelle-Orléans, début 1900, soulevé par les airs qui s'échappent des fenêtres, des balcons, des bordels et des gargotes. L'album du pianiste insuffle une vie régénérée aux figures tutélaires. Pete Johnson (Death Rag Boogie); Scott Joplin (Maple Leaf Rag); Albert Ammons (Boogie-Woogie Stomp), Claude Bolling (3/4/6/8 Boogie) et Ferdinand La Menthe "Jelly Roll" Morton (The Perfect Rag), lequel établit la connexion entre le ragtime et le jazz. S'ajoutent les coups de chapeau à Edward Elzear "Zez" Confrey (Kitten on the Keys), et à Christian Willisohn, toujours en activité. On comprend l'hommage à l'Allemand : ses trois pièces (My Own Blues, Beebo's Boogie, Go Straight for It), dégoulinent d'authenticité. Fils de musicien amateur, formé au Conservatoire de l'Académie du Jazz de Bâle (Suisse), sensibilisé aux évolutions humaines de la période, Sébastien Troendlé a concocté un spectacle pédagogique riche en anecdotes, découvertes et références historiques. Le programme, également nommé Rag'n Boogie, ambitionne de montrer aux élèves des écoles primaires comment les thématiques sociales (esclavage, racisme, discrimination, lutte pour les libertés, revendication des droits, etc.) se répercutent sur les formes musicales. Le récit nous rend plus nets les époques, le patrimoine, et les silhouettes des maîtres du rag et du boogie (dorénavant des classiques, eh oui!). Tout ce souffle est loin de nous déplaire.
Par Bruno PFEIFFER – LIBERATION