« Joli jeu de contrastes » par Télérama

Débonnaire Méphistophélès à lunettes, Michel Godard joue du serpent. Non point en charmant les reptiles à plumes ou à sonnettes de sa flûte enchanteresse. Mais en soufflant dans un tube ondulé de bois et de cuir dont le nom « vient de ce qu’il a la figure du serpent, ayant plusieurs replis pour corriger sa longueur ». Ainsi décrivait-on autrefois cet ancêtre du tuba aux sonorités graves mais voilées, délicates : « Très proche de la voix humaine » dit Michel Godard. Cet éclectique souffleur de 33 ans qui a commencé par jouer de la trompette dans l’harmonie des usines Peugeot de Sochaux, avant d’entrer au conservatoire de Besançon, a décidé de remettre au goût du jour le sinueux instrument à vent, inventé à la fin du XVIe siècle par un chanoine français. Envoûté par son reptile à six trous, il l’a mené en balade dans les clubs de jazz. Et le serpent, si décrié par les modernistes du XIXe siècle (parmi eux, Berlioz) après avoir été plébiscité par des compositeurs comme Charpentier ou Delalande, a opéré la jonction be-bop baroque. Michel Godard a fait ses débuts en swing avec Tubapack, le pétillant quartet de tubas, avant de devenir un des piliers des meilleurs big band français, ce qui ne l’empêche pas de s’acoquiner avec les musiques les plus expérimentales. Au serpent qui, à l’origine, accompagnait les chœurs d’hommes dans les églises, il associe de très contemporaines voix de femmes, sur des arrangements du turbulent guitariste Claude Barthelemy et des textes empruntés à Flaubert ou aux anciens dictionnaires. Mais c’est lorsqu’il mêle son souffle à la vielle à roue primitive futuriste de Valentin Clastrier, aux binious et bombardes du Bagad de Kemperlé ou au saxophone free lyrique de Louis Sclavis qu’on le préfère. D’ailleurs, ces trois musiciens figurent à l’affiche des concerts qu’il programme pour sa « carte blanche » au festival d’Ile de France. Tour à tour gai, tourmenté ou ironique, Michel Godard y jouera également de son gracile serpent et de son tuba trapu, en compagnie de l’ensemble baroque La Fenice et du très classique Arban Chamber Brass. Joli jeu de contrastes en perspective !
Éliane ALOUZAY - TÉLÉRAMA