« Latcho Drom - Laverdine » par Etudes Tziganes

Il fût un temps où la parution sur disque d’un ensemble à cordes s’inspirant du Quintette du Hot Club de France aurait été un événement en soi. Mais, depuis le retour en force de la musique manouche et du swing musette, dont les disques sont légion (réjouissons-nous en !), il n’est guère de groupes musicaux « branchés », chanteur de variété ou de rock, qui n’incluent dans leur instrumentation une guitare manouche, un violon tzigane, voire un accordéon (si méprisé, il y a peu !)… « World music » banalisant tout, à l’éclectisme suspect rimant trop souvent avec opportunisme ou exotisme, où tout s’emprunte et se pille sans vergogne – folklores, traditions instrumentales, look – sous couvert de fraternel  métissage et qui masque en fait des préoccupations commerciales assez étrangères au rapprochement des peuples… Rien de tout cela avec ce nouveau disque de Latcho Drom, un quartette à cordes maintenant bien familier des festivals de jazz et dont les membres sont à l’évidence des pures. Leur langage commun est, on l’aura compris, issu du fameux style manouche de l’école Django Reinhardt/Stéphane Grappelli, et décidemment (par rapport à leur premier CD, « La Sorcière » déjà très attachant ), ils en manient la syntaxe avec de plus en plus de sûreté et de nuance. Et, c’est en cela que ce bel album constitue un réel événement : sans nullement copier les clichés et tournures de leurs idoles - comme tant d’épigones trop serviles- les musiciens de « Latcho Drom » ont miraculeusement saisi l’esprit d’un idiome si particulier en l’exprimant avec un grand naturel. Il est vrai que le guitariste soliste Christophe Lartilleux a lui-même baigné toute sa jeunesse dans le milieu des « gens du voyage », dont il est issu, tandis que Jean-François Ruiz, la seconde guitare, accompagna très longtemps un ex pilier du Quintette du Hot Club de France : le gitan Challain Ferret. Quant au violoniste Charles Roman, ses origines quelque peu slaves ne sont certainement pas étrangères à la parfaite adéquation de son jeu. Toujours est-il que ce qui frappe l’écoute de ce disque c’est l’exceptionnelle cohésion du groupe qui joue moins sur les contrastes de personnalités souvent néfastes au feeling général - que sur un son d’ensemble dans lequel se font une section rythmique exemplaire de swing (chose plus rare qu’il n’y paraît dans ce contexte) à laquelle participe activement le contrebasse de Joël Trolonge. Avec « Blanca » l’album s’ouvre sur un thème original à l’étrangeté assez proche de celle des compositions de Joseph Reinhardt dont « Latcho Drom » semble avoir la prédilection (cf. « Blues for Lili »), et d’emblée le quartette manifeste un drive dévastateur, poursuivant par un « Night in Tunisia » non moins fulgurant. Au phrasé staccato très varié de la guitare de Christophe Lartilleux (single note, octaves et accords), s’oppose le discours plus linéaire du violon de Charles Roman qui, cependant, sait à l’occasion se faire plus âpre : ainsi dans « Moose the Stuff », manifestement dédié à Stuff Smith (l’autre voix/voie du violon jazz). Atmosphère résolument swing , aux improvisations pleine de verve, qui règne également sur « I Can’t Give You Anything But Love », « La Poule » ou « Todo Modo », contrastant avec le caractère rhapsodisant de « La Verdine » ou « Mademoiselle de Bucarest » d’obédience nettement plus tzigane où l’archet de Ch. Roman évoque l’expressivité des cadences magyares. C’est assez dire la diversité du répertoire et des climats proposés ici, puisque cela va de la valse swing au boléro ! Des valses, telle « Blajo », exposée en harmoniques ( une difficile technique inaugurée par Django et que Christophe maîtrise étonnement), ou « Merci Mr O.P. » (hommage à Oscar Pettiford sans doute) structurellement assez proche de « Flambée montalbanaise » et à l’alliage sonore violon/basse, pizzicati inusité. Quant aux boléros, outre le nonchalant « Natalina » à la belle musicalité, le quartet aborde avec beaucoup de respect le célèbre « Troublant Boléro » et nos deux solistes retrouvent comme par miracle, la complémentarité fusionnelle de tandem Reinhardt/Grappelli : un délicat équilibre sonore qu’illustre également une très poétique version de « Manoir de mes rêves » (exposée en duo, avant que la section rythmique n’intervienne) et où Ch. Lartilleux révèle, par son sens de l’arabesque et du développement un talent architectural certain. Bref, un album si plaisant, et d’une telle richesse d’invention, que l’on aimerait faire tout découvrir à l’éventuel acquéreur. Afin de la convaincre (si ce n’est déjà fait !), citons donc encore « Dabo », un solo intégral de guitare, démontrant les mêmes qualités de construction et - cerise sur le gâteau - « Rythme futur », cette œuvre intrigante d’un Django Reinhardt manifestement sensible aux compositeurs de son temps (Honneger, Bartok, Ravel), morceau de bravoure que le quartette exécute note pour note avec une belle humilité devant la partition. Mais gageons que Latcho Drom n’en restera pas là, et qu’il nous réserve encore bien des futurs rythmes ! Alain ANTONIETTO - ETUDES TZIGANES