Le public, finalement, fut bon juge par Chorus

« Lorsque Montant commence à enregistrer pour Odéon en 1945, il a déjà gommé un certain nombre des tics de ses débuts. Bref, il a un style bien à lui. Les chansons que Piaf lui confie alors révèlent néanmoins combien celle-ci a été déterminante dans cette rapide évolution. L’influence de la Môme, en effet, déclenche à la fois une libération et un mimétisme. Instinctivement, le jeune homme adopte les intonations, le phrasé de la vedette.
Son répertoire lui-même va puiser dans les richesses des auteurs-compositeurs maison : Contet, Emer, Monnot… Dans ses prestations scéniques, en revanche, il utilise une gestuelle où sa dégaine de prolo (chemise, pantalon) annonce une autre transformation – de fond, celle-là –, mettant à l’honneur la condition ouvrière qu’il vient de quitter.
A cet égard, la rencontre avec Francis Lemarque sera déterminante. En l’espace de quelques mois, il enregistre plusieurs titres (“A Paris”, “Mathilda”, “Je suis venu à pied”, “Ma douce vallée”) de ce nouveau venu, issu lui aussi des milieux populaires d’immigration. Simultanément, son amitié avec Prévert lui donne l’occasion de lancer des chansons comme “Barbara”, “Les cireurs de souliers de Broadway”, “Les enfants qui s’aiment” et les fameuses “Feuilles mortes” qu’il a du reste beaucoup de mal à imposer au public.
Intégrées à son univers, ces œuvres vont désormais coller parfaitement au personnage qu’il véhicule avec succès sur les plus grandes scènes. A l’inverse du cinéma et de la revue, il faut bien le dire, où il ne trouve pas semblable réussite. Deux titres (“Flâner tous les deux” et “Champions du monde”) extraits du Chevalier Bayard, créé en 1948 aux côtés de Ludmila Tchérina et Henri Salvador, nous donnent ici des raisons de penser que le public, finalement, fut bon juge. Du moins en ce qui concerne l’opérette. » Serge Dillaz – Chorus