« Les premiers accords d’Aznavour » par Marianne

J’ai reçu par la poste un album illustré portant le titre ronflant d’Histoire de la chanson française. J’y ai cherché un début, quelque chose comme « nos ancêtres les Gaulois… » Pourtant, dès les premières pages, il semblait clair que tout commençait dans les années 60, avec la vague yé-yé. A peine un bref chapitre d’introduction évoquait-il une poignée de précurseurs : Brel, Brassens ou Edith Piaf, quelques statues plantées dans le désert du passé. Quant à Charles Aznavour, il faisait ici figure de « crooner à la française », - comme si la dernière grande figure internationale du music-hall parisien ne pouvait être qu’une déclinaison locale de Dean Martin ou Frank Sinatra ! Autant l’avouer : j’ai bazardé cette anthologie orwellienne pour me pencher, avec davantage de profit, sur le nouveau trésor fourni par l’excellent label Frémeaux et Associés : un double CD intitulé Aznavour et ses premiers interprètes. Ce choix de chansons rassemblées par l’érudit collectionneur André Bernard est préfacé par l’artiste lui-même. On y comprend d’abord en quoi Charles Aznavour est un enfant de la chanson d’avant-guerre, celle de Maurice Chevalier qui lui donna envie de se lancer dans le métier quand il découvrit son 78-tours Donnez-moi la main, mam’zelle. Inspiré par ce maître, le jeune Charles pratiquera tous les petits métiers de la scène, des plateaux de cinéma aux revues de l’Alcazar. Cet apprentissage très concret explique, pour une part, l’aisance qu’il montrera bientôt, comme auteur, dans la chanson brillante faite pour le music hall : il en concocte pour Edith Piaf (Jézébel) et quantité d’autres vedettes aujourd’hui trop oubliées : Jacqueline François, Marjane, Patachou, Philippe Clay et son Noyé Assassiné. Ce don naturel se déploie également dans les refrains qu’il cosigne avec Gilbert Bécaud pour Dario Moréno (Me que, Me que) ou pour Bécaud lui-même. Dans les années 1946-1956, avant même d’accéder à la gloire d’interprète, Charles Aznavour devient ainsi l’un des auteurs-compositeurs les plus recherchés, aussi bien par le vieux Réda Caire que par le jeune Marcel Amont, ou par la reine du fado Amalia Rodriguez. Mais ce coffret nous rappelle également combien Aznavour a aimé l’autre grande lignée de la chanson d’avant-guerre : le style « swing » incarné par Charles Trenet. Le duo qu’il forme en 1948 avec Pierre Roche, sous le nom de « Roche et Aznavour » rappelle d’ailleurs, par son ton gamin et loufoque, celui constitué dans les années 30 par Charles Trenet et Johnny Hess. Ils gravent ensemble quelques perles à redécouvrir, comme Voyez, c’est le printemps, et en écrivent d’autres pour l’élégant Georges Ulmer – poète danois de la chanson française qui vaut à Charles Aznavour son premier succès avec J’ai bu, en 1946. Tour à tour poétique et divertissant, ce coffret vaut autant pour le plaisir musical que pour « la belle lumière de nos souvenirs » évoquée par le grand Charles à propos de ce temps où Paris, avec New York, était la seule capitale de la chanson ! Benoît DUTEURTRE - MARIANNE