« Parmi les plus dignes émules » par Bluesboarder

Né en 1946, Benoît Billot (alias Blue Boy) est devenu, au fil du temps, une sorte de doyen d’un blues à la française dont il fut, à l’instar de Patrick Verbeke, un des grand précurseurs. La Lichère, label indépendant, publia deux de ses albums au début des années 1990 (rendez-vous compte : Bluesboarder n’existait même pas !). Pour fêter son retour sous la bannière de cette bonne maison avec son tout récent « En Amérique », celle-ci a décidé de les rééditer, ce qui nous permet de partir à la (re)découverte du temps perdu ! […] Enregistré en Avril 1992 en formation restreinte, ce septième album de Benoît introduit un seul petit nouveau : le bassiste Jean-Marc Despeignes. Demeurent les fidèles Tortilleurs Bodin et Floris, qui profitent d’ailleurs de l’absence d’invités pour briller à leur tour. Sur la pochette, Benoît cultive un look à mi-chemin entre Raimu et le Coluche de Tchao Pantin. Le point faible de cet album réside dans sa production, ou plutôt son mixage : s’il est louable de resserrer le son autour du combo ici présent, à quoi bon laisser Benoît chanter en Français, si c’est pour qu’on y comprenne rien à l’arrivée ? C’est particulièrement regrettable sur « Ca va t’rev’nir », « Coq en pâte » et « Jacques a dit », dont les bribes de paroles intelligibles laissent présumer de ce qu’on rate. Benoît est un parolier savoureux, et il est par conséquent dommage de ne pouvoir en profiter pleinement. Ceci posé, on flaire vite une sorte de concept derrière tout ça : après tout, sur les originaux de Slim Harpo et Clifton Chenier (qui constituent assurément le ferment de l’art des Tortilleurs), bien malin aussi celui qui parvient à décrypter de quoi il retourne vraiment. Cette transposition hexagonale ne manque heureusement pas d’attrait sur le plan strictement  musical. Dix titres (soit deux de moins que sur le précédent), d’où se détachent particulièrement le zydeco ‘n’ roll « Elle veut vendre ma guitare » (sur lequel l’harmo supplée l’accordéon, et Bodin assure une slide rugueuse au premier plan), et une poignée d’autres plages, au premier rang desquelles « Sur tes traces » et « T’inquiètes pas Benoît ». Le premier est un mini « road movie » : sur un riff proche de celui d’Anyway the wind blows » de J.J. Cale (et un tempo typiquement sudiste), les Tortilleurs y font preuve d’un groove que l’on croyait réservé à certains musiciens de studio de Muscles Shoals. Le second est un swamp-shuffle à la Lazy Lester revu façon Chicago West-Side, et auquel on ne comprend à nouveau pas grand-chose, du moins avant que Benoît ne commence à souffler dans ses lamelles ? Alors, tout devient clair : en fait, ça cause de Little Walter, dirait-on ! « J’me r’lève la nuit » est une lente ballade country, avec steel-guitar lacrymale de rigueur, et « Coq en pâte » un irrésistible zydeco twist avec frottoir, sur lequel la slide de Bodin décrit des vrilles et des loopings, avant que l’harmo ne viennent rétablir l’ordre. Le reste de mes plages favorites se répartit entre des références à Creedence, et d’autres aux T. Birds (qui devaient planer bien haut au firmament des idoles des Tortilleurs). « L’amour, la guerre » emprunte ainsi le roulis de « Proud Mary », et « Ca va t’rev’nir » confirme l’assise rythmique du groupe, qui nous propose (quelle idée !) d’imaginer un Fogerty qui marmonnerait au lieu de hurler. Un implacable soul beat fait décoller « Jacques a dit » en un swamp blues furieux, sur lequel la réverbe de la guitare de François Bodin le qualifie parmi les plus dignes émules de Jimmy Vaughan. Mention confirmée avec « Toujours du rock’n’roll », qui accentue encore la touche T.Birds : dès l’intro au chromatique, le rythme twist-shuffle et les riffs implacables de Bodin évoquent immanquablement les rois d’Austin. Pas si mal en fin de compte, pour un petit groupe frenchy ! Je rappelle que le premier album (5 titres) de Doo The Doo ne devait voir le jour que trois ans plus tard…Quand on vous dit que Benoît est le parrain de toute cette nouvelle scène blues française !
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