Quelques joyaux mémorables par Le Monde de la Musique

La création de Phi-Phi, de Christiné, le 11 novembre 1918 n'ouvre pas une nouvelle ère simplement par un miraculeux hasard de calendrier : à partir de là, l'opérette descend dans la rue, ou plutôt y redescend. Cela fait quelques lustres, en effet, qu'elle est entrée dans une sorte de décadence. Le temps n'est plus où le plâtrier sur son échavaudage et la modiste à son ouvrage chantaient les airs entendus la veille aux Bouffes-Parisiens : L'opérette est devenu progressivement un spectacle opulent et savant, que l'on va regarder plus que partager. Pendant ce temps, c'est le café-concert et le music-hall qui fournissent le public en refrains populaires. Après-guerre, le music-hall s'éprend d'une opérette nouveau style, influencée par les productions américaines et peu à peu colonisée par des artistes se souciant peu des dignités compassées d'un style qui se prenait au début du siècle comme le petit frère - mais frère quand même- du grand opéra. Alors tout se libère : l'actualité sociale monte sur scène avec des demi-mondaines, ses ministres, ses mercantis et ses bourgeois; on jette le quotidien, l'argot et la sagesse populaire dans des formes empruntées à l'opéra; on se livre à de laborieux calembours, on brosse de féroces caricatures et, surtout, on tient à distance les abstractions du bel canto. L'opérette redevient un loisir populaire et donne à la chanson française quelques joyaux mémorables : La fille du bédouin (dans l'opérette Comte Obligado), Dans la vie faut pas s'en faire (dans Dédé), Cana Cane Canebière (dans Un de la Canebière), le Duo de l'escarpolette (dans Véronique)... L'opérette viennoise (La Veuve joyeuse, l'Auberge du cheval blanc), les compositions de Reynaldo Hahn (Ciboulette, Mozart, Brummel) ou André Messager (Véronique, Coup de roulis) préfigurent le triomphe de l'opérette-revue de Vincent Scotto, Henri Christiné, Maurice Yvain et d'autres.
Ce double CD recèle des trésors chantés par Yvonne Printemps, André Baugé, Alibert, Dranem, Georgel, Ninon Vallin ou Georges Milton, mais aussi des raretés comme Dans la vie faut pas s'en faire par Ernest Cloérec Maupas plutôt que par Maurice Chevalie, ou un extraordinaire Cocktail Pathé, sketch musical mettant en scène une quinzaine de vedettes dans des courts extraits de leurs tubes en deux faces de 78-tours. On est assez loin des figures clinquantes des opérettes-chromo des années 50, et en même temps au coeur de la culture populaire de l'entre-deux-guerres. Bertrand DICALE - LE MONDE DE LA MUSIQUE