R10 de Répertoire

«  Instrumentiste hors pair, continuateur foudroyant de Roy Eldridge, il bouleverse le jazz dans les années quarante avec Charlie Parker, Bud Powell, Thelonious Monk et Kenny Clarke, au cours d’une réforme révolutionnaire du rythme et de l’harmonie qui s’est appelée be-bop... » REPERTOIRE (Distinction R10)


« La mauvaise santé, l’air hâve, les yeux brûlants, le comportement sévère, ombrageux, voire brutal, sont aux yeux des benêts les signes les plus sûrs de l’excellence artistique. Si vous jouez magnifiquement de la trompette, une silhouette décharnée, une mine contrite et assombrie vous assureront plus vite les lauriers du génie auprès des mélomanes superficiels. Dizzy Gillespie, lui, n’a jamais fait dans le triste ; il fut un ambassadeur joyeux de l’excellence. Instrumentiste hors pair, continuateur foudroyant de Roy Eldridge, il bouleverse le jazz dans les années quarante avec Charlie Parker, Bud Powell, Thelonious Monk et Kenny Clarke, au cours d’une réforme révolutionnaire du rythme et de l’harmonie qui s’est appelée be-bop. Sideman de Teddy Hill, Cab Calloway et Earl Hines, il signe à partir de 1945, en compagnie ou non du « Bird », des faces que les musiciens du monde entier vont écouter ébahis, pour ensuite tenter d’en assimiler le style et la portée. De 1946 à 1950, avec son grand orchestre aux tutti volcaniques et aux mises en place vertigineuses, il balaie, en la poursuivant, la tradition swing d’avant-guerre, pour organiser avec une jubilation et une énergie phénoménales des coulées de lave sonore en fusion où le suraigu savamment articulé de sa trompette fixe un standard nouveau, dont aujourd’hui encore Nicolas Payton ou Wynton Marsalis sont redevables. C’est encore Dizzy qui – entre deux facéties de « clown élégant » comme le dit justement Alain Gerber – introduit définitivement la musique afro-cubaine dans le jazz : Night in Tunisia, Algo Bueno, Cubana Be ! Cubana Bop !, Manteca en témoignent ici avec maestria. Ce seul aspect de la musique de Dizzy Gillespie – qui nécessiterait de très longs développements – devrait suffire pour que l’on cesse de limiter sa contribution à sa trompette coudée, à ses joues extraordinairement gonflées, à ses mimiques et clins d’œil. La compilation opérée par Alain Gerber dans le cadre de la superbe série « The Quintessence », rend compte avec fidélité du parcours de ce prodigieux passeur : sept morceaux comme sideman chez Cab Calloway, Lucky Millinder, Lionel Sarah Vaughan, Red Norvo et Slim Gaillard, seize comme leader de petite formation bop (« tempo jazzmen » compris) et quatorze faces ébouriffantes avec son grand orchestre. A peine pourrait-on regretter que le sublime Slam slam blues, où Gillespie est presque élégiaque dans la première prise, n’ait point remplacé ce Popity pop qui représente en 1945, à bien des égards, un pas en arrière pour lui. Ce double CD concentre l’apport essentiel d’un des musiciens les plus légendaires de l’histoire du jazz, l’un des plus exigeant aussi sous ses allures de jean-foutre, et l’un des plus subtils harmonistes qui soient (il était renommé pour ses leçons d’harmonie au piano). Un musicien, enfin, qui n’aurait jamais pu être huissier ; c’est dire la qualité de l’homme. Cette « Quintessence », à la présentation impeccable et à la remastérisation soignée, dégage pour notre joie tous les arômes de l’indispensable. » REPERTOIRE (Distinction R10)