« Sur le papier tel qu’en la bouche » par Le Mensuel Littéraire et Poétique

Belle idée que celle de proposer une édition sonore des Essais de Montaigne, surtout quand on se souvient qu’il évoquait son style en le disant « sur le papier tel qu’en la bouche ». Lus par Michel Piccoli, ce premier coffret de 2 CD propose une sélection de textes appartenant au livre 1 des Essais. (Pour les livres 2 et 3, il faudra attendre 2004). Il y a une vertu roborative propre aux Essais, propre à cette voix qui illustre à propos la nécessité de se défier des dogmatismes, ou qui sait combien la singularité de chaque être est essentielle. « Nous sommes chacun plus riche que nous ne pensons ; mais on nous dresse à l’emprunt et à la quête, on nous forme à nous servir plus de l’autrui que du nôtre ». En stigmatisant nos grandeurs comme nos misères, nos certitudes comme nos travers, c’est l’image de l’homme tel qu’il devrait être qui peu à peu s’affirme et s’impose. A partir d’un pragmatisme du meilleur aloi, Montaigne nous dit comment prendre la vie, comment mieux se gouverner à partir d’une meilleure connaissance de soi-même. Mais les Essais, c’est aussi une façon de déployer le français, de l’articuler, de le faire sonner dans son ampleur et sa beauté – ce que la voix de Michel Piccoli rend presque voluptueusement. Beauté du phrasé, pouvoir de la voix vive qui, en ses silences et intonations, renvoie à une façon de mettre à nu la pensée, autant qu’a cette nonchalance de ton et d’allure dont on devine combien elle est voulue et concertée, tant ce style de conversation, ici réinventé avec inspiration, sait se faire incisif et paradoxal quand il le faut. Un coffret qui a donc toute sa place dans nos bibliothèques.
Richard BLIN – LE MENSUEL LITTERAIRE ET POETIQUE