« Travail et expérimentation en orchestre » par Jazz Mag-Jazzman

Jazz Workshop, ça vous dit forcément quelque chose. « Workshop » signifie « atelier », un mot qui a surgit dans le jazz après les débuts du bop et qui sous-entend travail et expérimentation en orchestre. Dès l’été 1953, Charles Mingus et Max Roach ont leurs Friday Night Jazz Workshops au Putnam Central Club de Brooklyn auxquels participent notamment Theolonius Monk, Art Blakey et probablement Miles Davis. En septembre, pour leur label Debut, les Mingus et Roach y enregistrent un septette à quatre trombones (J.J. Johnson, Urbie Green, Willie Dennis et Kai Winding) qu’ils publient sous le titre de « Jazz Workshop ». Par la suite, le contrebassiste réutilisera le terme pour ses formations et contribuera en 1955 à l’album Savoy « Composers Jazz Workshop » réunissant des œuvres de Wally Cirillo, John LaPorta, Tao, Teo Macero et Mingus lui-même. La même année, sur les pochettes du label Victor RCA, le terme « The Jazz Workshop » prend la forme d’un élégant logo où certains connaisseurs croient reconnaître dans le graphisme du mot « Jazz » la patte de Jim Flora, connu pour ses illustrations des albums de 78t Colombia à partir de 1942 (« Bix and Tram », « Louis Armstrong’s Hot 5 »…) puis des LP Victor RCA au milieu des années 1950 (« Shorty Courts The Count » de Shorty Rogers, etc.) Le logo figure pour la première fois sur « Al Cohn’s Four Brass One Tenor » puis sert de titre à cinq autres albums enregistrés, entre 1955 et 1956, respectivement par les arrangeurs Manny Albam, Billy Byers et Hal Schaefer, le saxophoniste Hal McKusisick (qui se livre en quartette à un travail formel qu’il soumettra aux arrangements de Cohn, Albam, Gil Evans et George Russell) et George Russell dont les compositions préfigurent les années 60. C’est cette série imaginée par le directeur artistique Jack Lewis qui sert de point de départ au double CD conçu par Alain Tercinet pour Frémeaux. Quoi de commun entre Al Cohn et George Russell ? Helen Merrill explique au dos du boîtier : « A cette époque, nombreux étaient les musiciens qui passaient leur temps à travailler les changements d’accords en lorgnant en direction de Stravinsky et Bartok. Personne ne gagnait un sou, mais c’était passionnant.» La sélection et le livret de 32 pages d’Alain Tercinet dans « East Coast Jazz Workshops New York 1954-1961 » [Choc] font œuvre de salut public pour deux raisons. Leur auteur nous éclaire sur cette série dont l’histoire fut peu commentée et qu’il met en relation avec toutes sortes d’expériences parallèles menées jusqu’au début des années 60 sur d’autres labels. Ce faisant, il met en lumière un cool de la côte Est non tristanien (à l’exception peut-être du piano de Bill Evans chez Russell), ici et là ramifié avec certaines franges du hard bop. Aussi, le spectre esthétique est large et nous mène du cool d’Al Cohn aux accents basiens (avec Freddie Green à la guitare) cependant marqué par le nonette de Miles Davis (influence omniprésente) aux groupes expérimentaux de Teo Macero, Teddy Charles et Charles Mingus, en passant par le Jazz Laboratory de Gigi Gryce et Donald Byrd, les arrangements de Phil Sunkel pour Tony Fruscella, d’Ernie Wilkins pour Joe Holiday, de Quincy Jones pour le Don Elliot Octet, de John Carisi pour la séance parue sous le titre « Into the Hot » au nom de Gil Evans (lui-même présent avec son « Ten » de 1957 ou comme arrangeur de La Plus que lente de Debussy pour le sextette de Gerry Mulligan). On croisera même Henri Renaud, André Hodeir et Michel Legrand de passage à New York et quelques figures oubliées que l’on n’avait jamais songé à inclure dans sa discothèque (John Glasel, The Westchester Workshop, Tom Albert, John Benson Brooks, Freddy Merkle…). Si les figures centrales de cette compilation restent Al Cohn, Manny Albam, Bob Brookmeyer, Hal McKusick et George Russel (qui à eux cinq offrent déjà un très large panorama esthétique), on s’amusera tout au long de ces plages à guetter les personnages passant de l’une à l’autre formation (Jimmy Cleveland, Art Farmer… les plus fréquents) avec un triumvirat qui tire un fil rouge presque continu : Barry Galbraith (elg), Milt Hinton(b) et Ossie Johnson (dm). Franck BERGEROT - JAZZ MAG/JAZZMAN