« Un maillon essentiel dans l’évolution de son instrument » par Le Salon littéraire

« Où va le jazz ? Dans toutes les directions. D’aucuns y voient un signe de vitalité. Certains sont plus réservés. Cette dispersion les inquiète. A chacun de trancher selon les critères qu’il place au premier plan, la liberté d’une musique qui ne connaîtrait pas de frontières, ou le respect d’un minimum de codes, garant de sa spécificité. Les premiers arguent que le jazz a toujours connu, depuis ses origines, la tentation de la fusion. Ce qui n’est pas faux, si ’on songe qu’il a surgi du melting pot de La Nouvelle-Orléans avant d’essaimer de par le monde. Les seconds soutiennent à l’inverse que, s’il est vrai qu’il a assimilé, au cours des ans,  bien des influences, le risque de dilution dans une world music uniforme et sans saveur n’a jamais comme aujourd’hui hypothéqué son identité. On se gardera de trancher. Constatons seulement que la palette est large entre la perpétuation d’un classicisme qu’on aurait mauvaise grâce à confondre avec un psittacisme revivaliste, et une musique qui s’exonère de toute règle formelle, lorgnant de plus en plus vers les folklores les plus divers ou les improvisations libres des compositeurs actuels. Entre ces conceptions éloignées, sinon extrêmes, coexistent maintes formes auxquelles, faute de mieux, on persistera à attribuer l’appellation de jazz.  Quelques productions de ces derniers mois témoignent de cette diversité. On se bornera aujourd’hui à de fructueuses plongées dans le passé. Tout d’abord, il n’est que justice de signaler des rééditions tout à fait dignes d’intérêt. Celles, entre autres, que le label Frémeaux & Associés dispense avec persévérance.  Elles font le bonheur de ceux qui persistent à voir dans le disque un vecteur privilégié de transmission, en dépit de l’essor des sites proliférant sur le Net.
(…) Dans la collection « Quintessence », un Wes Montgomery « New York – Indianapolis – Los Angeles, 1957-1962 » (3). Un double CD qui témoigne de l’importance de celui qu’Alain Gerber, directeur artistique de la collection, appelle « l’homme tranquille ». Lequel, toujours selon Gerber,  « se distinguait de manière significative non seulement de (Grant) Green, mais de son maître Charlie Christian, de T-Bone Walker et tous les guitaristes influents apparus après eux. » C’est que, et ces enregistrements en témoignent, Montgomery, technicien irréprochable, avec son phrasé en single notes aussi bien que son utilisation des accords et son jeu en octaves, apportait une manière nouvelle. Non point révolutionnaire, sans doute, mais séduisante, et au-delà : elle allait influencer durablement les guitaristes qui suivirent. Magistralement présentée (comment ne pas se répéter ? Une fois encore, il faut saluer l’association qui s’illustre ici, celle de Gerber et de Tercinet, tandem aussi exemplaire qu’unique), cette sélection rend pleine justice à celui qui apparaît, plutôt qu’un guitar hero, comme un maillon essentiel dans l’évolution de son instrument. Et, en définitive, dans l’évolution du jazz tout entier. »
Par Jacques ABOUCAYA – LE SALON LITTERAIRE