« Un traitement de la voix sans précédent » par Le Monde de la Musique

Voici trois des principaux acteurs de la révolution française, celle qui bouleversa la chanson française dans les années trente, la faisant entrer dans l’âge moderne. Les duettistes Pills et Tabet offrent en ouverture de cette « Intégrale 1931-1938 »  une transition assez significative avec Dans les bouges la nuit (ou Tango des fauvettes) : une thématique ancrée dans le folklore parisien (les bals de Grenelle et les mauvais garçons) alors très en vogue mais déjà presque datée, mais un orchestre de jazz hot ouvert sur les lendemains qui swinguent. Quelques mois plus tard, Jacques Pills et Georges Tabet enregistrent Couchés dans le foin de Mireille et Jean Nohain qui leur réserveront pendant quelques temps la primeur de leurs chansons. Un an plus tard, Jean Sablon enregistre Ce petit chemin des mêmes auteurs. Le répertoire est osé, l’amour et ses joies les plus physiques sont abordés avec un appétit, une tendresse et un humour qui s’éloignent de la grivoiserie jusque-là en vigueur (grivoiserie à laquelle Sablon rend cependant hommage lorsqu’il emprunte Le Fiacre au répertoire d’Yvette Guilbert). Bien plus, Jean Sablon, véritable crooner à la française, innove par un traitement de la voix sans précédent. Et pourtant, si l’on pense aux débuts géniaux de Charles Trenet (J’ai ta main chanté par Jean Sablon ne nous contredira pas), ces révolutionnaires nous paraissent un peu datés et n’auront plus aujourd’hui, sur les générations qui ont grandi après leurs premiers succès, qu’un charme très rétro. Chacune de ces rééditions est accompagnée d’un épais livret, l’intégrale de Pills et Tabet souffrant d’un titre mis de côté pour on ne sait quelle raison (Arbres de juillet, 1932) et de crédits très incomplets (lorsque l’on sait que l’on croise sur ces séances des personnages tels que Stéphane Grappelli ou Oscar Aleman). L’analyse titre par titre de la sélection consacrée à Jean Sablon permet quant à elle de repérer des accompagnateurs aussi légendaires que Grappelli et Reinhardt, Clément Doucet ou, en 1938, Claude Thornhill (à la tête d’un orchestre à cordes certes fort différent de celui pour lequel Gil Evans fourbira ses armes d’arrangeur quelques années plus tard). Franck BERGEROT –LE MONDE DE LA MUSIQUE