« Une balade dans la vie musicale de Dany Doriz » par Jazz Hot

« Après l'excellente Anthologie du Caveau de La Huchette 1965-2017, Frémeaux & Associés présente celle du directeur de cet établissement historique. Même s'il n'est pas un inconnu des jazz fans, un rappel n'est pas inutile pour les autres. Dany Doriz, né Daniel Dorise (en 1941) a d'abord étudié le piano dès l'âge de 4 ans, puis le sax alto classique à 14 ans au Conservatoire de Versailles. Et dès l'âge de 16 ans, il opte pour le vibraphone après avoir vu Milt Jackson en concert avec le MJQ. Il travaille l'instrument auprès de Geo Daly (1923-1999) qui lui fait écouter Lionel Hampton. Il fait ses débuts professionnels en février 1959. En 1960, Dany joue avec Jean-Luc Ponty (vln). C'est pour Ponty avec Jean Tordo (cl) qu'il fait son premier disque. Engagé par Michel Attenoux (s), il passe aux Trois Mailletz (1961-62). On l'entend avec Dominique Chanson, Mezz Mezzrow, Albert Nicholas, Peanuts Holland, Don Byas et Benny Waters. Autant dire un parcours initiatique sainement jazz. Fin 1962, Dany Doriz dirige son propre orchestre, d'abord un quartet avec le trop oublié Charles Barrié (ts). Il se produit aussi avec Memphis Slim (1962, 45 tours Jazz Madison/Make Rattle and Roll, Farandole 132), Claude Bolling (1962), Bill Coleman (1964), Mickey Baker (1966) et de nombreux autres incontournables illustrés dans ce coffret recommandé.
Outre des rééditions, nous avons dix-sept inédits. Le tout nous est proposé dans l'ordre chronologique. Le premier titre, «Shuffle and the Vibra», nous place d'emblée dans l'ambiance: virtuosité de Doriz et sonorité pulpeuse de Barrié avec swing. Memphis Slim (p, voc) chauffe son «Shake Rattle & Roll» de Big Joe Turner (voc) –du vrai rock 'n’ roll avec du piano boogie, un excellent solo simple et direct de Barrié et du vibraphone hamptonien. Sans quitter le swing, en mode élégance, avec Stéphane Grappelli dans «How High the Moon» jusque-là inédit, nous passons en 1965 (notons que la vraie orthographe du pianiste n'est pas Hemler mais Hemmeler). Extrait du 45 tours Homère HO1012, nous avons ensuite une composition très plaisante de Dany Doriz arrangée par Gérard Poncet pour big band: «Rien n'est plus beau que tes yeux». Dany est à la tête d'une belle brochette de requins de studio dont Pierre Sellin (tp) semble être le soliste (à noter qu'à ma connaissance il n'existe pas de Georges Paquinet; si l'initiale G. est bonne, il s'agit de Guy qui se trouve ici aux côtés de son célèbre fils André, tb). Outre Dany Doriz, en forme, on apprécie de retrouver Gabriel Garvanoff (p) dans «Mademoiselle de Paris» (1968) et Gérard Raingo (p, en block chords) dans «Sweet Sue, Just You» (avec Maxim Saury, cl, 1968). La clarinette virtuose du sympathique Suisse allémanique Erwin Wani Hinder (1933-2021) décédé en mai dernier, brille dans «Huchette in the Groove» (1973) et «The Preacher» (pas «Bugle Call Rag» comme indiqué, avec son compatriote Rolf Burher, tb, 1975). La rencontre Dany Doriz-Lionel Hampton se termine sur un «Good Bait» joué par l'orchestre (1976). Pas moins orchestral est le jeu de Wild Bill Davis (org) dans «In a Mellow Tone» et «Take the A Train» (1978). Joli exposé et solo dans «Bluesette» par Dany Doriz dont l'arrangement est excellent (de François Guin peut-être, 1980). L'esprit du quartet Benny Goodman transpire du Flashback Quartet (1983). La sensibilité artistique de Dany Doriz est bien illustrée dans ce «Prelude in Blue» (Jean-Luc Parodi, org, Thomas Moeckel, g, Carl Schlosser, ts: quel son!, 1990).
Trois extraits de l'album My Favorite Vibes (1993) dont un titre en duo avec le regretté Duffy Jackson (dm), décédé en mars dernier, «Move», nous font passer du CD1 au CD2, occasion de retrouver Thomas Moeckel au bugle pour un solo sur «Someday My Prince Will Come» avec le remarquable Georges Arvanitas (p). En juin 1994, Dany fait le bœuf, assis sur une rythmique mieux que solide (Eddie Jones, b, Butch Miles, dm): les inédits «Wee» (Red Holloway, alto pas ténor; Buster Cooper, tb, au lieu de Clark Terry) et «Just Friends» (l'inestimable Clark Terry, flh, remplace Holloway). Les deux extraits de l'album This One's for Basie (Black and Blue 860.2) valent aussi pour Arvanitas, Eddie Jones, Butch Miles. Cette équipe de luxe accueille ensuite Bob Wilber (cl) pour un goodmanien «Seven Come Eleven» (1995). Emotion de retrouver le trop oublié Patrick Saussois (g) dans cette belle version d'«Embraceable You» et dans son solo imprégné par Django pour «Pennies From Heaven» (1999). Il participe aussi à la valse de Jo Privat, «Balajo», avec Marcel Azzola (acc) en 2000. D'un climat à l'autre, au passe au funky «Psychedelic Sally» (1968) d'Horace Silver avec le ténor musclé de Michel Pastre, l'excellent Philippe Milanta (p) et Duffy Jackson, (2002). L'entente entre Dany Doriz et Marc Fosset (g), disparu en octobre 2020, est illustrée par cinq titres dont «Lover» et «Take Bach» de Philippe Duchemin (p) où notre vibraphoniste est virtuose à souhait. Claude Tissendier (cl, arr), Philippe Duchemin et Patricia Lebeugle (b) apportent leur concours qualifié au groupe vocal Sweet System. Désormais le fils, Didier Dorise, est à la batterie. Egalement au chapitre de la nostalgie, la rencontre entre Dany Doriz et Claude Bolling (2004, «Air Mail Special» inédit, en big band).
Le XXIe siècle est maintenant bien entamé et le CD3 lui est consacré. Dany Doriz maintient le cap notamment à la tête de son big band où l'on retrouve Marc Fosset et dont nous avons cinq titres inédits : Didier Dorise est en vedette dans «Good Vibes» (2006), Rhoda Scott (org) l'invitée d'«April in Paris» (2009). En combo, «Race Point» (2012) est un très bon moment de ce coffret qui fait intervenir Philippe Duchemin, Dany Doriz, Scott Hamilton (ts), Ronald Baker (tp), Patricia Lebeugle, puis c'est une alternative avec Didier Dorise. Dany Doriz déborde de swing dans « Be Bop » de Dizzy Gillespie avec Patrice Galas (p), Cédric Caillaud (b) et Didier Dorise (2020). Le reste est à l'avenant. Une balade dans la vie musicale de Dany Doriz indispensable pour ceux qui savent qu'il n'y a pas de jazz sans swing, et qui l'aiment. »
Michel LAPLACE – JAZZ HOT