Frankly speaking par Jazz Magazine

« Nous avons ainsi la possibilité d’accéder à tout ce qui a été enregistré, pas seulement en studio mais aussi à la radio et dans les concerts, partout où il y avait un micro pour recueillir le son. Que les susnommés ne m’en veuillent pas si, ce mois-ci, je sélectionne, parmi d’autres réussites, un album publié par Patrick Frémeaux, réalisé sous la direction d’Alain Gerber. La "Quintessence de Charlie Christian (1933-41)". Mort très jeune, ce "Black" comme on dit aujourd’hui, mâtiné paraît-il de cherokee (toujours pour être racialement correct), aura été un personnage capital dans l’histoire de la musique. Ce double CD le prouve. Grâce à John Hammond, Christian fut projeté aux côtés des plus grands. Ce qui n’allait pas manquer de donner à son travail une dimension supplémentaire. Avec Lionel Hampton dans la brillance de sa jeunesse adulte, avec Cootie Williams ragueur, éructant à la wa-wa un pied de nez à Ellington qu’il venait de quitter pour un problème de gros sous, avec Lester Young dont la nonchalance se balance dans le tropical berceau des accords de la guitare. Et au fil des plages, tant de héros, les uns qui furent très célèbres, d’autres trop vite oubliés : Fletcher Henderson, Red Allen, Earl Bostic, Buck Clayton, Freddie Green, Johnny Guanieri, Edmund Hall, Maede Lux Lewis, Jo Jones, Georgie Auld, Joe Guy, Kenny Kersey, Kenny Clarke… Organisateur de la plupart de ces réunions en petites formations, Benny Goodman apparaît plus chaleureux, plus "swinguant" qu’à la tête de son grand orchestre. Plus proche de l’émotion. Quintessences de cette quintessence frémeausienne:
1- La partie de batterie de Sid Catlett dans Haven’t Named It Yset (CD1, plage 3). Un décret devrait imposer à tous les fabricants de machines à rythme qui sévissent dans la techno et autres abrutissements de nos discothèques l’intégration de cette phénoménale variété de percussion dans les programmes de leurs engins lapins-tambours.
2- Les premières mesures de Pagin’ The Devil (CD1, plage 8) jouées par Lester Young au cours du concert « Spiritual to Swing » au Carnegie Hall en 1939. Avec en prime une rencontre qui relève d’un  rêve venu de l’au-delà : Charlie Christian en solo accompagné par Freddie Green.
3- Les quatre débuts de Benny’s Bugle (CD2, plages 1,2,3,4) interrompus par un anonyme qui, comme beaucoup de preneurs de son ou de producteurs qui sévissent dans les studios, n’hésite pas à couper le sifflet des artistes parce qu’il se prend lui aussi pour un créateur. Burlesque et affligeant.
4- Plusieurs versions de Solo Flight. Comment décrire ce diabolique dialogue entre le guitariste et le grand orchestre, Un minimun de notes, qui swinguent face à des sections de cuivres et de saxes. Et le son, fort bien reproduit, que Christian tirait d’un instrument électrifié. Magnifique !
5- Non pas parce que c’est un ami, le texte d’Alain Gerber.
Reste la grave interrogation qui préoccupe encore quelques maniaques : Christian a-t-il été le passeur du swing au bebop ou simplement l’homme qui attendait Benny (Goodman) ? Frank TENOT-JAZZ MAGAZINE