« The Greatest Blues Shouters - 1944-1955 » par Les Inrockuptibles

Au cours de la décennie précédant l’avènement du rock, son fils bâtard, le blues, pétait encore des flammes. A partir de 1940, et durant quinze années, de la Californie à Kansas City, des chanteurs énergiques et chaleureux maintinrent haute la tradition vocale issue des beuglants de la prohibition et autres lieux de plaisir. Pour séduire le public le plus large possible, il convenait qu’un chant (soit le sucre des crooners, soit la sueur du blues) se fraie son chemin en devant de scène. L’évocation historique offerte ici fige dans l’histoire l’instant attendrissant où les Noirs américains parviennent à une relative aisance économique, où des vocalistes se démènent toutes cordes vocales dehors, poussés au cul par de joviales sections de cuivres et où, pour séduire le chaland, le jazz se fait parfois appeler rhythm’n’blues. Dans à peine plus d’une décennie, le rock’n’roll blanc renverra aux marchés ethniques beaucoup d’étoiles filantes de la sueur et du rythme. Mais les meilleurs (avec, en tête, le boss of the blues, ce Big Joe Turner dont l’organe, disait-on, pouvait franchir impunément plusieurs blocs) furent assez puissants pour survivre. Donc, on peut cesser quelques secondes de claquer des doigts, pour : entendre Jimmy Rushing sublimer Everyday I Have the Blues, soutenu par la section rythmique de Count Baisie (dont Freddie Green, maître guitariste qui jamais ne prit de solo) ; surveiller du coin de l’œil le crâne chauve d’Eddie « Cleanhead » Vinson, pleurant le vol de son lit en cuivre (et de la petite amie qui se trouvait dedans !) ; s’incliner devant la star du lot, un Louis Jordan déjà symbole du futur du rock’n’roll ; apprécier la mise en paroles du standard instrumental Night Train par Wynonie Harris, étincelant séducteur qui aura beaucoup chanté, et encore davantage dépensé ses cachets aux côtés des souris de nuit ; et faire les comptes… Quatorze artistes, quarante chansons, et un éternel retour vers notre gros préféré, Joe Turner qui, dans un Shake Rattle and Roll éruptif, explique benoîtement d’où nous venons tous.
Christian LARRÈDE – LES INROCKUPTIBLES