Soixante ans de jazz festif ! par le Journal de l'Ile

En avril prochain, Claude Bolling fêtera ses 75 printemps. Pianiste, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, il défend depuis soixante ans, avec panache, la grande tradition du jazz classique, convivial, festif et dansant.
Aujourd’hui encore, au-delà des modes et des courants, Claude Bolling, avec une ardeur toute juvénile , continue de faire rayonner le jazz français dans le monde, à la tête de son prestigieux big band détenteur de tous les records de longévité (prés d’un demi-siècle d’existence !) et de popularité. A la Réunion, les jazzophiles n’ont pas oublié les éblouissantes prestations des 20,22 et 23 juin 2001 !
Les premiers disques de M. « Bollington »
L’admiration que portait et que porte toujours Bolling à son maître Ellington et la fascination qu’exerçait son univers sonore sur sa musique depuis son plus jeune âge, d’où le surnom que lui avait donné Boris Vian, s’expriment dès ses premiers enregistrements. Des enregistrements que ressuscite aujourd’hui le label « Frémeaux & associés » - au total quarante-sept titres gravés entre 1948 et 1957 -, regroupés dans un coffret de trois CD intitulé « Claude Bolling collector », suivi d’un long entretien avec l’artiste portant sur les principales étapes de sa vie et de sa carrière, conduit par Daniel Nevers et Patrick Frémeaux, un entretien qui fait l’objet d’un quatrième CD.
CD 1 : voyage en « Ellingtonie »
C’est aux accents nostalgiques de The mooche  que s’ouvre le voyage de Claude bolling en « Ellingtonie » ; c’est aussi l’un des premiers morceaux qu’il grava en 1948 avec son nouveau sextette Nouvelle-Orléans. Claude Bolling recrée l’ambiance des petites formations du Duke, « les Ellington units », composées de quelques-uns des principaux solistes de son orchestre. Parmi eux, le trompettiste Rex Stewart. Ce dernier se fait entendre, d’ailleurs, au sein de la formation de Bolling, dans cinq compositions d’Ellington dont le fougueux Main stem ou le joyeux Stompy Jones que l’imposant  Rex enrichit de puissantes envolées ou ponctue de ses fameuses notes étranglées dont il avait le secret.
De six musiciens au départ, le groupe de Bolling passe à dix-huit. Ainsi naît son premier big band en 1956, baptisé « Le grand club orchestra ». En interprétant Caravan, C jam blues et Solitude, ces musiciens nous replongent dans les somptueuses orchestrations du Duke des années 40, riches d’alliages sonores délicats et de subtiles combinaisons de timbres. En point d’orgue à ce festival, le plus beau des medley offre, en moins de seize minutes, quelques courts extraits de trente et un thèmes parmi les plus célèbres composés par le Duke. Un voyage qui vaut le détour !
CD 2 : promenade à la Nouvelle-Orléans
Au lendemain de la Libération , dans une ambiance exaltante, les musiciens de jazz français adoptent les airs joyeux du style Nouvelle-Orléans en plein renouveau, Claude Bolling avec son « Hot seven », figure parmi les interprètes les plus enthousiastes de cette forme de jazz encore baptisée « vieux style ». Mais c’est à la tête des dix-huit musiciens de son big band que Claude Bolling déploie tout son talent d’arrangeur et de leader catalyseur : huit thèmes du répertoire traditionnel parmi lesquels Royal garden blues, Muskrat ramble et Saint Louis blues, s’enflamment à la manière des meilleures interprétations de Count Basie avec dialogue des cuivres et des anches, bouillantes salves de riffs, sans oublier la perfection de la section rythmique, véritable poumon permettant aux solistes de se lancer dans d’interminables courses relais. Ainsi, quelques coups de baguette suffisent au magicien Bolling pour transformer les standards « vieux style » en succès à la mode swing !
CD 3 : au pays de Django
Après son voyage en Ellingtonie et sa promenade à la Nouvelle-Orléans, Claude Bolling nous entraîne au pays de Django. « La logique sans guitare était une gageure, explique Claude Bolling, d’autant plus qu’il n’y avait pas de guitares à l’époque du Duke, ni dans la nôtre, d’où l’idée d’orchestrer quelques solos de Django pour les saxophones et cuivres, notamment les improvisations de « Minor swing » et « Rythme futur ».
Défi gagné : les mélodies de Django sont non seulement respectées, mais elles revêtent aussi un relief nouveau grâce à une orchestration originale riche de nuances et de contrastes harmoniques.
CD 4 : Claude se raconte
« A douze ans, j’étais fasciné par la musique de Duke Ellington » raconte Claude Bolling dans un entretien de plus d’une heure accordé à Daniel Nevers et Patrick Frémeaux. A dix-huit, à la tête de sa formation Nouvelle-Orléans, il accueille Duke Ellington à la Gare du Nord, à Paris. Trop timide, Claude Bolling reste muet devant son idole. Ce n’est que dix ans plus tard qu’il osera lui adresser la parole en lui offrant l’un de ses premiers disques. Entre-temps, il a remporté, à quinze ans, le premier prix de piano au tournoi de jazz amateur organisé par le « Hot club de France » et la revue « Jazz hot », en interprétant Alligator crawl de Fats Waller.
C’est le début d’une longue carrière que Claude Bolling évoque à larges traits, une carrière marquée notamment par une de rencontres avec plusieurs grands du jazz américain et avec quelques concertistes de renom, le flûtiste Jean-Pierre Rampal, le guitariste Alexandre Lagoya, le trompettiste Maurice André. « je n’aime pas le mélange des genres, affirme pourtant Claude Bolling, mais je me suis beaucoup amusé à faire dialoguer des musiciens classiques avec des jazzmen, ce que les Américains nomment « cross over ».
Mais ce qu’il faut retenir dans ce jeu des questions réponses, c’est la modestie de Claude Bolling. Un exemple : plein d’admiration pour Stéphane Grapelli, il n’osera jamais lui demander de l’accompagner. C’est finalement à son grand étonnement, le merveilleux violoniste qui fera le premier pas en lui demandant de jouer et d’enregistrer avec lui.
Plus généralement, lorsqu’on lui parle de sa carrière comme une réussite exemplaire couronnée de nombreux succès, Claude Bolling répond : « Je me suis toujours trouvé en dessous des buts que je m’étais fixés et cela quelle que soit l’expression musicale que j’avais choisie… » Docteur jazz dans le "Journal de l’île"