« Le chasseur de mélodies animale » Par Humanité

« Jean-Claude Roché enregistre les voix de la nature. Rencontre avec cet aventurier, capteur de cris, de chants et d’ultrasons émis par les animaux sauvages. Tout jeune, Jean Claude, qui habitait dans la banlieue parisienne, a senti battre en lui l’appel du monde sauvage. Mais le chemin a été long avant qu’il ne parvienne à enregistrer le chant… des sauterelles. Aujourd’hui, il vit à Châteaubois, hameau perdu à 700 mètres d’altitude au-dessus du lac de Monteynard, en Isère. Mais bientôt, il s’installera près de Mens, toujours en Isère, dans une maison construite de rondins de bois à la manière finlandaise. Ce spécialiste mondialement reconnu a parcouru la terre entière pour enregistrer toute sortes d’animaux, des plus féroces aux plus placides. C’est avec les oiseaux d’Europe qu’il a passé le plus de temps. Dans son repaire alpin, il reçoit des confrères sud-africains, soviétiques ou américains. Il a même créé sur place Sittelle, sa propre maison d’édition, unique en son genre, pour ses disques compacts, ses cassettes et ses coffret de concert d’animaux.(Devenu Frémeaux & Associés en 2007). Les débuts furent pourtant folkloriques Jean-Claude Roché fit des études de psychologie à la Sorbonne, puis apprit la céramique, devint guitariste, vendeur de livres et agriculteur biologique dans le Vae… Mais c’est en chassant la grenouille qu’il a pu réaliser sa vraie vocation de preneur de sons sauvages : « Je capturais les crapauds qui servaient alors à composer le seul teste de grossesse existant. C’était dans les années cinquante. Je les revendais aux laboratoires. » Dès qu’il eut l’argent nécessaire pour s’acheter une caméra et un magnétophone portables (les premiers sur le marché), il cessa cette activité qui heurtait sa sensibilité et partit dans la nature pour un voyage en curieux qui dure déjà depuis plus de trente ans. Son père spirituel, Ludwig Koch, avait réalisé le premier enregistrement d’oiseaux au monde, en 1897, sur un cylindre de cire tourné à la main. Roché a tout d’abord réalisé un film 16mm. Pour la première fouis France, on pouvait voir un gros plan d’araignée. Succès. Il put financer un nouveau travail. Très vite, il laissa tomber l’image pour se consacrer au son. Il enregistra les oiseaux de Camargue, pour son premier disque. Des dizaines d’autres suivront. Roché a vécu dans le Vaucluse jusqu’en 1988 avant de choisir de s’installer en Isère : «  l’endroit est privilégié. Nous sommes dans les Alpes et c’est encore un peu la Provence. Nous avons une belle lumière, des sites protéges, comme le parc des Ecrins ou celui du Vercors, avec une faune très riche, des espèces de haute montagne, de plaine, de Méditerranée. Nous sommes à deux pas de la Suisse et de Paris. Et surtout, nous avons des interlocuteurs intéressants, engagés dans la protection de la nature, les universités, le Muséum d’histoire naturel de Grenoble… Dans le Vaucluse, nous avions la faune mais pas les hommes ! ».
L’Isère compte 150 espèces d’oiseaux, 200 si l’on compte les migrateurs qui passent par là. Jean-Claude s’en donne à cœur joie. Il enregistre aussi les insectes de montagne, notamments les sauterelles alpines qui émettent des ultrasons. Le travail est sans fin. Chaque espèce d’oiseaux dispose d’un registre de plusieurs dizaines de cris différents qui permettent une communication sophistiquée entre eux. Cri d’alarme ou cri d’amour ? Le premier diffère, par exemple, selon que le danger vient du sol ou du ciel. Pour étudier et codifier ce langage, pour apprendre à parler oiseaux, Jean-Claude ruse. Il enregistre et repasse la mande dans la nature, vérifiant ainsi ses hypothèses. Le chasseur de sons a un avantage sur  le chasseur d’images. La présentation d’une photo de grenouille à une grenouille a toutes les chances de provoquer sa fuite. Une bande son d’un chant d’amour n’aura pas le même effet. Ce chercheur ne se contente pas d’enregistrer de beaux concerts, il veut comprendre et étudier. Par le biais du CEBA, (centre d’étude bioacoustiques alpin) qu’il a récemment créé, il collabore avec des musiciens pour sonoriser des expositions ou des spectacles, et travaille avec des scientifiques sur l’analyse du comportement animal. Ils sont une quinzaine en Europe, spécialisés dans l’enregistrement des animaux, mais Jean-Claude Roché est le seul à faire le métier à plein temps. Aussi, il a fait des adeptes. Ses élèves d’abords (il en a formé une centaine) et tous les amateurs, qui s’initient avec ses précieux ouvrages sonores : « le Guide des oiseaux d’Europe » en quatre disques compacts, les concerts naturels en stéréophonie d’animaux sauvages, ceux des oiseaux du jardin, « le Réveil des oiseaux », concert naturel l’aube d’un matin de mai dans le bocage alpin. Les concerts des forêts et des savanes africaines… »
Par Corinne Lacrampe — HUMANITE