« La bande-son d’une époque » par Djam

« Illustration sonore de la belle exposition en cours au Centre Pompidou sur le mouvement de la Beat Generation, l’anthologie conçue par Bruno Blum est un peu la bande-son d’une époque durant laquelle de jeunes blancs férus de littérature, de rêves libertaires, de trips sous hallucinogènes  et de voyages  vont se prendre de passion pour la note bleue, envier la désinvolture des «  hipsters », s’inspirer de leur mode d’expression spontanée et briser la chape de plomb de la morale conservatrice et pudibonde de ces temps de ségrégation raciale.  Puisqu’il fallait bien lui définir une identité, le mouvement littéraire conduit de manière informelle par la bande d’amis qu’étaient Jack Kerouac (1922-1969), Allen Ginsberg (1926-1997) et William Burroughs (le plus âgé, né en 1914, décédé en 1997 ; petit-fils du créateur de la première machine à calculer) s’est vu imposer bon gré mal gré l’étiquette « Beat Generation ». Dans le monde occidental, plusieurs générations de « beatniks » furent envoutées par cette lutte contre le conformisme, par cette description de l’envers du rêve américain. Ce qui nous intéresse ici n’est pas la dimension littéraire des trois hérauts du mouvement mais bien, pour rester dans le champ de la chronique musicale, leurs liens étroits avec le jazz et les musiques afro-américaines. (…)
Plus que les « classiques » du jazz que les mélomanes connaissent déjà (Basie Quartet, Slim Gaillard and his orchestra, Dizzy Gillespie Quintet avec Parker dans « Groovin’ High ou en big band dans « Manteca », Gerry Mulligan Quartet et autres figures essentielles du jazz), l’intérêt majeur de cette anthologie réside dans le choix des lectures de Jack Kerouac avec le pianiste Steve Allen (« Readings From On The Road and Visions Of Cody »), le fabuleux dialogue de neuf minutes environ avec le saxophoniste ténor Al Cohn (« American Haïkus ») où une écoute au casque permet de saisir les réactions de plaisir de l’écrivain aux improvisations du musicien qui l’émoustillent et les échanges en trio avec Zoot Sims et Al Cohn, cette fois-là au piano (« The Last Hotel & Some Of Dharma »). Les lectures publiques données par Ginsberg de Kaddish et de Howl, par leur longueur même, imposent une bonne dose de concentration mais soulignent la véritable dimension musicale de cette poésie pensée pour l’oralité. Il est aussi passionnant de découvrir la plage « The Beat Generation » du méconnu  Bob McFadden ainsi que les monologues humoristiques de Philippa Fallon et du grinçant Lenny Bruce. La version du « Winin’ Boy » de Jelly Roll Morton par Dave Van Ronk et le « Subterrean Homesick Blues » de Bob Dylan ouvrent le chemin vers la prégnance à venir du folk à Greenwich Village. Pour se conformer aux règles du domaine public, Bruno Blum n’a pu s’aventurer au-delà de l’année 1962. Il ne lui a donc pas été possible de souligner les liens de Ginsberg avec le Velvet Underground et Lou Reed ni de mentionner la comédie musicale  The Black Rider sur laquelle William Burroughs a collaboré avec Tom Waits et le metteur en scène Bob Wilson et qui fut donné à Hambourg en 1990 et plus tard à Paris. »
Par Philippe LESAGE - DJAM