ABOULKER ISABELLE

                                             Isabelle aboulker
                                                                    L’amour du texte

« Ce sont des lettres d’amour magnifique », s’émerveille Isabelle Aboulker. En compositeur épris du verbe et de la voix, elle se régale à créer une musique sur cette correspondance de Marie Curie à son mari, qui vient de mourir à 47 ans. Sa mélodie, qu’elle interprétera au piano, sera chantée par un de ses élèves au concert de l’Union des femmes musiciennes compositeurs et professeurs de musique, le 16 Octobre à l’Institut Marie-Curie de Sceaux. Ne pas voir dans son enthousiasme pour cet ouvrage la moindre revendication féministe. Isabelle Aboulker assume. Tout. Y compris l’énoncé viril de son métier. Mais surtout la notoriété tardive, qu’elle prend avec « bonne humeur » ; l’étiquette restreinte de « compositeur pour enfants », qu’elle accepte avec « plaisir » ; les contraintes d’une vie familiale « réussie » qu’elle a « privilégiée » face à sa carrière. Question de sagesse dans ses choix. D’optimisme dans sa façon de prendre la vie, qui lui vaut cet air d’éternelle étudiante aux griffes du temps rieuses. Question de « chance », insiste-t-elle. Chance d’être née, en 1938, d’une famille musicienne où « on m’a mise au piano sans trop s’occuper de moi ». D’Henri Février, le grand-père compositeur, elle hérite de « ce don ». De Jacques Février, l’oncle, célèbre pianiste et ami de Francis Poulenc, elle tient la facilité. De son père, le réalisateur Marcel Aboulker, lui vient l’envie « de faire pour lui de la musique de film ». Et, par son fils aîné, qui enseigne la musique, elle prolonge cette lignée. Chance, paradoxale, aussi « de n’avoir pas fait des études très brillantes au Conservatoire (et) d’avoir dû gagner (sa) vie assez tôt », qui l’amène à devenir professeur au Conservatoire national de Paris pour la formation musicale des chanteurs. Là, celle qui s’avoue « honorable pianiste (fait) la découverte du texte et du chant ». Chance encore « d’avoir composé un tas de trucs » pour la télévision ou le cabaret qui lui « apportent, à la longue, une écriture légère ». « Presque autodidacte en composition », elle écrit  une musique tonale, agréable, mal vue en France ». Chance toujours d’avoir pu approfondir sa connaissance du répertoire lyrique et des voix en enseignant à Amiens où son mari, le pianiste et chef d’orchestre Edmond Rosenfeld, a été nommé. Et d’y être entraînée par le metteur en scène Dominique Quéhec à composer des musiques de scène à la Maison de la Culture d’Amiens. Chance enfin de rencontrer le succès en 1981 avec son premier ouvrage, Les Surprises de l’Enfer ; il l’incite à écrire presque exclusivement pour les voix, mélodies, chœurs, comédie musicale, opéra, opéra de chambre. Héritière de « cette tradition française dans laquelle, de Rameau à Poulenc en passant par Ravel et Debussy, la force de la parole a tant d’importance », Isabelle Aboulker aime « mettre le verbe en musique, explorer la psychologie des personnages ». Elle l’avoue : « La sonate, le quatuor, ce n’est pas mon domaine. D’ailleurs ma musique n’est bonne qu’avec un bon texte, je souffre et panique face à un mauvais livret ». Rien de tels avec les délicieux opéras pour enfants qui, depuis Moi, Ulysse, font sa renommée : Jongleurs dans la jungle, l’Opéra de chiffon, Martin Squelette, La Fontaine et le Corbeau, Les Enfants de l’île du Levant, ainsi que deux œuvres vocales inspirées des contes de Perrault : Cendrillon et Le Petit Poucet, édités en un CD sorti hier par Frémeaux. Une reconnaissance qui masque un peu de belles créations comme, à Tours, l’opéra comique Monsieur de Balzac fait son théâtre ; Ou l’oratorio, plus grave, sur la grande guerre, avec des textes de Cendrars et d’Apollinaire, ou encore sa musique de scène pour Cinq Nô modernes de Mishima à l’Opéra Bastille. Mais nulle déception chez ce compositeur théâtral aux mondes poétiques infinis, qui, écrivant clair et riche, reconnaît : « J’ai payé mon côté éclectique, savant ». Et, chance ultime, Isabelle Aboulker est lucide : « Je ne suis pas une musicienne complète. Je connais mes limites mais, depuis cinq ans, j’ai fait du travail d’artisan bien foutu ». Pas de regrets non plus. Sauf, « peut être, une comédie musicale dans le style de Jérôme Savary ». Ça peut encore s’arranger.

BIO ISABELLE ABOULKER
© 2002 LE FIGARO