"Aussi pertinent qu’irrésistiblement dansant un coffret éminemment jubilatoire"


« Si l’on entame cette chronique en évoquant un obscur chanteur populaire largement passé sous les radars, mais redécouvert fortuitement quelques décennies après avoir disparu des circuits, vous penserez sans doute à Sixto Rodriguez (réhabilité par le film “Searching For Sugarman”). Sauf que dans le cas de François (dit Franklin) Boukaka, il n’y aura pas de happy end. Ce chanteur et guitariste congolais fut en effet assassiné en représaille à la tentative de putsch contre le président Ngouabi, à l’âge précoce de 31 ans. Pour saisir son parcours, il faut savoir qu’au temps où l’Occident se trémoussait aux rythmes du jerk, du twist et du rhythm n’blues, le summum de la débauche et de l’émancipation dans un Congo tout juste décolonisé consistait à se livrer aux ébats de la rumba zaïroise, telle qu’on la dansait dans les ngandas de Kinshasa et Brazzaville. Cette réédition de la quasi-intégrale de Boukaka est le fruit du travail de Bénédictin d’un homme, Claude Blanchard Ngokoudi. Celui-ci dut en effet mener une enquête digne d’un généalogiste pour retrouver et collecter les 58 titres de cette anthologie. Pour les savourer dans leur chronologie, nous recommandons de commencer par le CD3 (19 plages captées en 1959 et 1963, remarquablement restaurées, et démontrant une conséquente imprégnation des rythmes caraïbéens), avant de remonter le temps à rebours jusqu’à son ultime LP de 1971, “Le Bûcheron” (alors produit par Manu Dibango en personne). Même s’il est de nos jours moins flagrant de se le représenter (un peu comme si Jack Lantier avait osé glisser quelque propos subversif au détour de boléros tels que “Mwanga”, “Na Congo To Salakala” ou de mambos langoureux à la “Vero Na Tika Lise Mi Kuawa”), des hymnes tels que “Unité Africaine” (“À bas les mercenaires, à bas les empereurs, l’Afrique aux révolutionnaires”), “Pont Sur Le Congo” ou “Cercul Interafricain” ne laissent guère de doutes quant aux convictions du jeune homme. Son appropriation du son cubain s’avérait elle aussi plus que probante (“Si Tu Me Quières”, “Canaillon”,”Na Welate”, “Cercul Jazz” ou des cha-cha-chas tels que ‘”Adelina”, qu’il enregistra avec les cuivres du Cercul Jazz), et si son discours préfigurait la verve panafricaine d’un Tiken Jah Fakoly, sa musique ouvrait la voie pour les Orquestra Baobab et Super Diamono de Dakar. “Tout homme doit mourir un jour, mais toutes les morts n’ont pas la même signification”, énonçait-il de façon quasi-prémonitoire sur “Les Immortels”, y énumérant notamment les sacrifices suprêmes de Mehdi Ben Barka, Malcolm X ou encore Che Guevara (parmi d’autres). Aussi pertinent qu’irrésistiblement dansant, un coffret éminemment jubilatoire, accompagné, comme de coutume dans cette maison, d’un précieux livret documentaire. »
Par Patrick DALLONGEVILLE – PARIS MOVE