« Un livre audio à la fois exigeant et abordable » par Benzine

La prestigieuse et indispensable collection Frémeaux & Associés poursuit son exploration de la religion musulmane et de ses ramifications à travers son catalogue dans le catalogue, celui nommé L’Islam Des Lumières. Jamais ce catalogue n’a mieux porté son titre en évoquant le Soufisme, cette forme de mystique mal comprise en Occident ou réduite à de simples clichés. Youssef Seddik nous éclaire dans ce livre audio à la fois exigeant et abordable.

Ce ne sera pas l’actualité récente qui contredira ce raisonnement. Le monde musulman traverse une crise profonde dans son identité et dans son rapport à la modernité. Pourtant, la plus jeune de toutes les religions a beaucoup encore à nous apprendre, que l’on soit mécréant ou croyant. A la recherche de son identité, à l’évidence, l’Islam est aujourd’hui en crise ! Par ignorance et parfois par peur, il est souvent réduit à une idéologie. Malgré la richesse de son passé, cette culture séculaire n’a peut-être pas toujours su s’adapter aux exigences du monde moderne. Avec l’actualité de l’intégrisme musulman, il existe un « Islam » qui occupe le devant de la scène médiatique. Cet islamisme ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt car la Forêt est belle et elle peut nous offrir de nombreux fruits qui peuvent nous donner une autre vision des choses et de notre monde.

Jetez tous ces livres inutiles de développement personnel et découvrez plutôt les œuvres de Ibn Arabi ou Djalâl ad-Dîn Rûmî, des textes entre mysticisme, philosophie et théologie. Pour entrer dans cette matière nouvelle et ne pas tomber dans les éternels clichés liés au Soufisme, les Derviches Tourneurs, la Transe ou les Marabouts, il faut sans doute un peu s’accommoder le regard. Assurément, ce livre audio en trois CD de Youssef Seddik sur l’histoire de ce « courant » de l’Islam pourra servir d’initiation à cet univers. Ce qui est sûr, c’est que l’exposé du philosophe, anthropologue et islamologue tunisien donne une furieuse envie de pousser encore plus loin cette découverte d’un monde qui n’est pas si éloigné du nôtre comme on pourrait le croire de prime abord. Au contraire, le Soufisme tisse bien plus de lien avec l’Occident que l’on ne pourrait le croire.

Apparu dès l’aube de l’Islam, le Soufisme est la dimension spirituelle et ésotérique de la révélation coranique. Il se fonde sur la contemplation des réalités invisibles du monde et sur la recherche de la sagesse.

Pour définir le Soufisme, on a presqu’envie de commencer par dire ce qu’il n’est pas. Ce n’est pas une secte hors de l’Islam. Ce n’est pas non plus une secte islamique hétérodoxe qui adore un guru, ce n’est pas une innovation blâmable ni une philosophie et encore moins un Islam light. C’est une lecture plus symbolique du Coran, elle s’éloigne en cela de l’idéologie littéraliste et est par conséquent la victime de nombreuses attaques de groupes djihadistes.

Le Soufisme est un aspect de la sagesse éternelle, universelle, qui s’est incarné dans le corps de la religion islamique, née en Arabie au VIIème siècle. On peut le définir comme la dimension intérieure, spirituelle de l’Islam, et de l’Islam sunnite pour l’essentiel.

Parmi les diverses significations évoquées du terme sûfî, deux retiennent notre attention sur le plan linguistique. La première, immatérielle, fait dériver le terme du verbe arabe sûfiya, « il a été purifié ». Le but du soufisme serait donc de reconduire l’homme à la pureté originelle, dans cet état où il n’était pas encore différencié du monde spirituel. Selon la seconde étymologie, le mot sûfî dérive du mot sûf, la laine.

Le Soufisme s’est développé dans le monde sunnite, car il est fondé sur l’intériorisation du modèle mohammadien, la Sunna. La relation de maître à disciple, fondamentale, n’y a de sens qu’en référence au Prophète, le « Maître des maîtres », et tout ordre soufi trouve sa légitimité dans la « chaîne initiatique » qui remonte à lui. Les saints musulmans s’alimentent donc à l’influx béni (baraka) de celui qui est pour eux « l’Homme parfait ».

Le Soufisme ne saurait être un phénomène marginal dans la culture islamique, puisqu’il s’emploie à maintenir sans cesse une harmonie entre les aspects exotérique et ésotérique du message islamique. Il éclaire ainsi de l’intérieur le dogme et les rites de l’islam, leur donnant sens. Face à l’emprise croissante du droit musulman au fil des siècles, les soufis, qui étaient souvent de grands oulémas (savants en sciences islamiques), rappellent que seul l’Esprit est à même de vivifier les formes, et de lutter contre la sclérose de la pensée islamique…

Le Soufisme, ce serait en soi une culture globale, une philosophie de la vie, une façon d’être et d’avoir une relation avec le monde, une élévation spirituelle, ainsi qu’une manière de vivre la paix avec soi-même. Prenez par exemple Le Livre Des Dedans de Rumî, ce grand maître Soufi du 13ème siècle de notre ère. Ce texte reste d’une actualité brulante tant il interpelle l’individu par-delà les problématiques religieuses. C’est un livre hors du temps qui parle de l’humain et de sa quête du sens.  Ce que démontre très bien Youssef Seddik à travers cette Histoire Du Soufisme, c’est le caractère universel du Soufisme qui a su aussi bien aller puiser dans d’autres théologies ou philosophies de quoi nourrir sa méditation. L’hindouisme, le taoïsme ou le Bouddhisme ont influencé en profondeur cette vision du monde. Les Maîtres Soufi étaient souvent de grands voyageurs et cherchaient la rencontre avec l’autre. Le Soufisme a aussi influencé la culture européenne comme la religion catholique mais aussi dans ce rapport à la transe et cette envie de sortir de son propre corps.

Et si pour expliquer le Soufisme, on partait de l’étymologie du mot qui a la même racine que le mot grec Sophia, sagesse dans la langue d’Homère. Le Soufisme, ce serait donc une forme de sagesse accessible à tous. Et puis en ces heures sombres où les menaces islamistes refont leur apparition, s’intéresser au Soufisme peut nous rappeler combien la religion musulmane peut être et est avant tout une croyance pleine de tolérance.  Celui qui ne verra dans cet article qu’une forme de prosélytisme n’aura pas compris que l’on peut apprendre bien plus sur soi à travers des textes sacrés sans pour autant se trouver dans une quête spirituelle. Les textes que nous présente Youssef Seddik dans ce livre audio sont des œuvres majeures de la culture humaine à découvrir ou à relire. »

Par Gregory BODENES – BENZINE